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à faire passer, dans ces maigres récoltes, des moissonneuses-lieuses, à battre rapidement en chauffant la locomobile qui anime la machine avec la paille, à ensacher et à expédier à Chicago ; si les dépenses altérant à un hectare n’excèdent pas 50 francs, le prix de revient de l’hectolitre ne sera que 5 francs et on réalisera un gros bénéfice en vendant 9 francs, prix actuel à Chicago.

Il n’en est plus ainsi dans nos grandes fermes du nord de la France ; le loyer de la terre est élevé, et si l’exploitation emploie sa paille, qu’elle ne soit pas vendue comme elle l’est aux environs de Paris, il faut forcément que le rendement soit élevé pour que le prix de revient ne surpasse pas le prix de vente.

Mon collègue à l’Ecole de Grignon, M. D. Zolla, a relevé chez un fermier de Seine-et-Oise le compte blé pendant plusieurs années[1] ; en 1884, les dépenses se sont élevées à 610 fr. 59 par hectare, on avait produit 33 hectolitres et 1 155 bottes de paille de 5 kil, 5 ; les recettes ont atteint 849 fr. 82, et le prix de revient 8 fr. 26 ; c’est l’année où ce prix a été le plus faible ; pendant la mauvaise année 1891, il s’est élevé à 13 fr. 92 pour retomber à 9 fr. 86 en 1892. Un membre du Parlement, M. Lesage, au moment de la discussion des droits de douane, a calculé le prix de revient du blé dans une exploitation qu’il avait conduite lui-même ; en défalquant les pailles, il a trouvé 9 fr. 59 l’hectolitre. M. Garola, professeur départemental d’Eure-et-Loir, donne comme prix de revient d’une bonne ferme de son département 12 fr. 86 par hectolitre.

Il est inutile de multiplier ces exemples, il est clair que plus le prix de vente est faible et plus il faut que le prix de revient s’abaisse pour que la différence entre ces deux chiffres, c’est-à-dire le bénéfice, soit sensible, et puisque la surélévation des droits de douane est impuissante à maintenir les cours, que tous les efforts tentés pour déterminer une hausse artificielle ont été vains, nous sommes acculés à la nécessité de produire à bas prix, c’est-à-dire d’une part de diminuer nos dépenses et de l’autre d’augmenter nos rendemens.

La diminution du prix de location de la terre a été très marquée depuis dix ans, elle a suivi l’abaissement du taux de l’intérêt de toutes les valeurs, et de même que le rentier ne touche plus maintenant que 3 francs pour un capital de 100 francs, tandis qu’il en recevait 5 il y a quinze ou vingt ans, de même un hectare de terre qui se louait 100 francs est tombé à 80, 70 et même plus bas ; en outre, on a substitué, aussi souvent qu’on l’a pu, le travail

  1. Études d’économie rurale ; Paris, Masson, p. 222. Annales agronomiques, tome XX, page 161.