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conférer l’immortalité en lui faisant élever par Tennyson, son ami, le monument funéraire d’In memoriam, une délégation de missionnaires fut chargée d’aller jeter un défi aux byroniens d’Oxford au nom du poète de Prométhée déchaîné et de l’Epipsychidion. Hallam lui-même, Monckton-Milnes, le futur lord Houghton, l’essayist et poète distingué, enfin Sunderland, un de ces grands hommes de la vingtième année que la destinée punit de leur précocité, allèrent plaider cette cause. Gladstone servit d’introducteur aux révolutionnaires. La lutte fut épique, passionnée, avec ces exagérations savoureuses qui sont le charme et l’honneur de la jeunesse. On ne saura jamais de quel côté fut la victoire. Si la majorité donna ses suffrages à Manning, défenseur intransigeant de Byron, il a déclaré plus tard que les argumens du trio des Shelleyens l’avaient mis en déroute.

Ces beaux temps d’étude désintéressée, d’enthousiasme généreux, d’amitiés pures, ne passent que trop vite. Il fallait entrer dans la vie pratique. La vocation de Manning à cette époque était fort décidée. La politique l’attirait, le prenait tout entier. Il rêvait parlement, succès oratoires, pouvoir, action. Il se voyait déjà premier ministre, et ses camarades d’Oxford, s’ils avaient tiré son horoscope et celui de Gladstone, eussent réservé à celui-ci la mitre et la crosse et donné au futur archevêque de Westminster les sceaux de l’Etat. Le sort en décida autrement. M. William Manning était ruiné. Il avait dû, le cœur brisé, déposer son bilan, donner sa démission de régent de la Banque d’Angleterre et de membre de la Chambre des communes, vendre sa belle maison de campagne. Ce n’était pas avec les miettes du patrimoine paternel que l’on pouvait subvenir aux frais d’une carrière parlementaire, telle que la rêvait Manning, — à l’anglaise, où l’on met ses loisirs et ses revenus au service du pays au lieu de gagner sa vie ou de faire sa fortune dans les emplois. Découragé, Manning dut accepter du patronage distrait de lord Goderich une place plus que modeste de surnuméraire au ministère des Colonies.

On le pressait de réfléchir, de prendre le parti de l’Église plutôt que d’entrer dans l’administration par cette poterne basse. Il refusa. Ses sentimens religieux étaient loin d’être vivans. On ne trouve rien chez lui de ces étranges pressentimens, de ce mysticisme congénital, presque morbide, de cette vie spirituelle cachée et ardente, à la sainte Thérèse, de cette espèce de songe à demi éveillé dont Newman nous a laissé l’inoubliable peinture et qui le marquaient d’avance, comme par miracle, en plein protestantisme, pour le catholicisme et le sacerdoce. L’éveil de la conscience religieuse, la conversion, pour me servir du terme technique de la psychologie protestante, ce fut une influence féminine qui l’opéra