Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montrer que, lors même qu’ils se savaient battus d’avance, les modérés » à force de courage, n’en sont pas moins parvenus à réunir des minorités importantes. On a vu des conseils généraux, comme celui du Nord, se séparer avec éclat de la représentation politique du département. Les députés du Nord, après des hésitations qui avaient fait croire successivement à tous les partis qu’ils pouvaient compter sur eux, obéissant, dit-on, à des influences administratives, avaient fini par se prononcer à la Chambre dans le sens du ministère et par lui apporter un concours qui n’avait eu rien de discret. L’un d’eux avait lu à la tribune une déclaration solennelle dont la Chambre s’était amusée, mais qui n’en avait pas moins exercé quelque influence sur son vote. Le conseil général du Nord a désavoué ses députés. On a beaucoup remarqué aussi que le conseil général de la Marne, qui est le propre département de M. Léon Bourgeois, a voté contre l’impôt sur le revenu. Les anus du gouvernement ont fait de leur mieux pour provoquer un vote contraire ; ils n’y ont pas réussi. Ils ont demandé alors que les conseillers républicains exprimassent sous une forme quelconque leur sympathie personnelle pour M. Bourgeois ; om le leur a refusé. Tant d’efforts pour empêcher les manifestations hostiles, ou pour en atténuer les conséquences, n’ont fait qu’en accentuer la gravité. L’échec a été si général, si complet, si évident, que les radicaux et les socialistes n’ont pas cherché à le contester. Dès ce moment, le cabinet était perdu. Si on se rappelle dans quelle faiblesse il était déjà tombé au moment de la séparation des Chambres, on comprendra l’impossibilité pour lui de se relever du rude coup qui venait de l’atteindre en pleine poitrine. Toute la question était de savoir comment il mourrait, et ici encore il nous réservait des surprises. N’ayant pas vécu, il n’a pas voulu non plus mourir comme tout le monde. Donner purement et simplement sa démission au président de la République ne lui a pas paru une mise en scène digne de lui. Mais il faut revenir au récit des faits.

Le Sénat s’est réuni le 21 avril : dès sa première séance, il a renversé le ministère. Ce n’a pas été long, comme on le voit. Les crédits de Madagascar ont servi de prétexte. Objet d’un nouveau vote de défiance qui le frappait en quelque sorte matériellement, le ministère s’est retiré. On assure que cette décision n’a pas réuni l’unanimité, peut-être même la majorité des ministres : M. le Président du conseil aurait dû prendre sur lui de déclarer que, pour son compte, il était formellement résolu à se démettre. Sa démission entraînait celle de tous ses collègues. M. Léon Bourgeois s’est rendu chez M. le Président de la République pour lui faire part de cette détermination, qu’il a présentée comme irrévocable : toutefois, il a exprimé le désir que sa retraite ne fût rendue publique que lorsque le cabinet aurait pu comparaître une dernière fois devant la Chambre. En sortant de l’Elysée,