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l’impératrice le traiter en suspect, et une stratégie de cour le réduire a l’impuissance. Il savait par l’exemple de nos révolutions que la fidélité militaire est due aux gouvernemens établis, doit durer tant qu’ils durent, mais ne leur survit pas, et qu’en dépit des formules le soldat ne prête pas serment à un homme ou à un régime, mais à la patrie, seule permanente. Il ne doutait pas que tous ses compagnons d’armes n’acceptassent la République, et à l’accepter comme eux ne se sentait pas plus coupable. Dès que sa conscience ne lui interdisait pas de servir la France elle l’obligeait à ne pas déserter les dangers publics, et il eut pour unique souci de résoudre à quelles conditions il devait subordonner ce concours, et à quelle place il pourrait être plus utile. Après avoir écouté en silence les délégués, il les quitta, leur demandant quelques minutes de réflexion, revint, après avoir quitté son uniforme, et les suivit à l’Hôtel de Ville.

Le palais n’avait toujours qu’un maître, la foule. Partout où l’étendue et la magnificence des pièces étaient préparées pour l’exercice du pouvoir, elle régnait avec son désordre et sa force stérile. Le nouveau régime restait confiné dans le cabinet, étroit, sombre, dérobé, et comme honteux, du télégraphe. Quand le général fut introduit, on y distinguait à peine, dans le déclin du jour, les six députés qui s’y trouvaient alors. Il aurait pu croire que Jules Favre, Arago, Ferry, Glais-Bizoin, Pelletan et Rochefort fussent les prisonniers et non les chefs de cette multitude, et il trouvait en ces hommes, majorité du gouvernement, l’image la moins imposante de l’Etat. Il en connaissait à peine quelques-uns, depuis moins d’un mois, pour les avoir reçus au Louvre et leur avoir donné comme à tout le monde son avis sur la situation militaire ; il n’avait jamais vu Rochefort, dont il ignorait la présence et qu’on ne lui nomma pas. Lui d’ailleurs, sans laisser le temps aux présentations, dès qu’il fut entré prit la parole. Et ce fut pour dire que, désireux de leur accorder son concours pour la protection de la patrie contre l’étranger, il avait besoin de savoir si eux étaient résolus à protéger, contre les excès révolutionnaires, des causes non moins sacrées, et qu’avant de se lier à eux il leur demandait un engagement. « Affirmez-vous, leur dit-il solennellement, Dieu, la famille, la propriété ? » Nul ne protesta, les uns parce que ces croyances étaient les leurs, les autres parce que les promesses ne leur coûtaient rien. Mais ni les uns ni les autres ne furent quittes à si bon compte. Trochu, après avoir pris acte de leur adhésion, exposa que, la grande œuvre étant la défense nationale, le soldat chargé de la diriger ne devait pas être seulement un ministre, le subordonné d’un