ne le faisaient les poètes de l’ancien christianisme ou les poètes de la période classique et de la période romantique. C’est de là que proviennent la particularité et la nouveauté artistique et intellectuelle de la poésie réaliste. Elle n’a donc pas de modèles à aller chercher dans le passé, elle doit se créer à elle-même son idéal. Elle n’a ni à étudier ni à imiter les anciennes œuvres d’art, elle doit faire un retour vers la nature et en considérer directement tous les phénomènes. »
Il y a bien un peu de naïveté dans cette importance exceptionnelle ainsi donnée à l’époque que nous traversons ; mais cette naïveté, on la pardonnera facilement au critique si elle doit devenir une qualité chez le poète. Quand M. Julius Hart demande que la poésie « soit l’incarnation de la nouvelle conception du monde, » il semble croire qu’il y aurait une nouvelle conception du monde, universellement reconnue et acceptée. S’il en était ainsi, M. Hart n’aurait rien à demander à personne, car tout serait alors subordonné à cette nouvelle conception, sans que M. Hart ni personne ait besoin d’y pousser. Il y a aujourd’hui, comme il y en a toujours eu, des hommes qui pensent et qui sentent vivement — et différemment, — sur les problèmes les plus importans de la vie et de l’univers ; et tout ce que l’on peut désirer de mieux, c’est peut-être tout simplement que chacun d’eux exprime le mieux possible ce qu’il pense et ce qu’il sent.
En fin de compte, c’est d’ailleurs là aussi où vient très clairement aboutir le raisonnement de M. Hart. Plus loin, en effet, il dit encore : « Le retour à la nature et au phénomène rendra à la poésie lyrique toute la vérité de l’expression directe, toute la force de sentiment que peut seule engendrer la réalité. La poésie ne cherchera donc pas, avec Geibel et ses élèves, un simple poli de surface ; elle ne se contentera pas d’une langue émondée et purement harmonieuse, d’une beauté toute d’apparence ; elle devra toujours s’arrêter à l’expression caractéristique, à l’expression qui marie le plus complètement l’idée à la forme. Et si parfois les expressions et les mots employés paraissent un peu barbares à l’oreille, encore trop habituée à l’ancienne langue douceâtre, on n’en sacrifiera pas moins volontiers, par un sentiment plus haut de l’art, une beauté tout extérieure à une beauté plus intime et plus profonde. Enfin la poésie cessera de s’intéresser aux jeux de pure fantaisie pour se consacrer tout entière à l’homme et à la nature, tels que la réalité les montre, et dépouillés du vain prestige dont cherchaient à les envelopper les contes romantiques. »
Dans cette dernière phrase, M. Julius Hart révèle une fois de plus combien il tient à rester le prisonnier de la tendance réaliste. Plus loin, il réclame formellement des poètes nouveaux un