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jeunes prophètes révolutionnaires avait été Ferdinand Freiligrath, Mais Freiligrath, qui avait joué un rôle actif dans les événemens de 1848, tenait par trop de côtés aux vieux partis, tant politiques que littéraires, pour n’avoir pas été du premier coup dépassé par les nouveaux venus, sinon dans la violence de l’expression, tout au moins dans ses rêves de bouleversemens sociaux. Quelles que fussent cependant les prétentions que l’on eût, et quelle que fût la variété des moyens qu’on employât pour les réaliser, on ne pouvait, je l’ai dit, qu’aboutir à l’expression de sentimens personnels allant de la haine à la pitié, selon qu’il s’agissait des puissans du jour ou bien des misérables ; à moins que l’on ne préférât aller se perdre dans de beaux rêves nuageux et imprécis, dévoilant à l’humanité l’âge d’orque sera l’avenir dès le lendemain du « grand soir ».

La première, et par-là peut-être la plus importante de ces œuvres de poésie révolutionnaire, fut le Livre de l’époque de M. Arno Holz, paru en 1886, et réédité en 1892. Il y a un peu de tout dans ce livre ; mais, dans chacune des pièces qui visent à être des « poèmes sociaux » ? il y a surtout de la haine et un appel constant à la révolution, soit que le poète exprime formellement cet appel, soit qu’il le sous-entende. M. Holz semble partager les hommes en deux catégories : d’un côté les riches, et de l’autre les pauvres. Les riches sont des démons, et les pauvres sont des anges. Aucune conciliation n’apparaît possible entre les uns et les autres ; on ne voit pas que rien puisse jamais les réunir. Et devant les souffrances des misérables il ne semble même pas que le poète éprouve de la pitié, ou plutôt il ne s’attarde pas à la pitié qu’il a dû ressentir, et c’est à peu près uniquement de la colère qu’il exprime, car il repense aussitôt, avec des sentimens de haine et de dédain, à ces riches qu’il suppose évidemment être la cause de tout le mal.

Je ne rappellerai ici que l’un des poèmes les plus connus de M. Holz : Deux tableaux. L’un de ces « tableaux » nous montre un palais où une domesticité nombreuse va et vient, très affairée, mais sans bruit, sur la pointe des pieds, passant comme des fantômes. Le médecin de la maison a été appelé quatre fois depuis le matin ; dehors la chaussée est recouverte de paille, pour qu’aucun bruit de voiture ne vienne troubler la malade, « car aujourd’hui Madame a la migraine ! » Le second tableau nous transporte dans une mansarde où, sur une misérable paillasse, gît une femme, jeune encore, que consume une fièvre mortelle. Trois petits enfans sont là. Après une attente interminable, le médecin des pauvres vient enfin, mais trop tard : « La mère est mortel » On voit tout l’effet que M. Holz a pensé tirer de