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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/33

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d’un évêque peu prévenu en sa faveur, reçut dès 1840 — à trente-deux ans — sa promotion au poste important d’archidiacre de Chichester, l’un des deux lieutenans de l’Ordinaire dans la direction de son clergé. C’était le moment où, dans le camp tractarien, Newman trahissait malgré lui sa lutte intime et où toute une bande de jeunes gens audacieux, Ward en tête, affichaient bruyamment leur mépris de la Information et leur amour du catholicisme. Manning avait toujours été plus protestant que son allié d’Oxford. Jamais il ne lui en avait coûté, tout en professant les principes de la nouvelle école, de rendre hommage ou justice à ces Réformateurs du XVIe siècle dont le nom semblait écorcher la bouche de certains Tractariens et que Ward consignait sans hésiter aux flammes éternelles.

Au fond, entre Newman et Manning, même à cette lune de miel de leurs relations et encore que plus tard Manning, catholique, ait cru devoir dédier à Newman un livre « comme au maître auquel il devait plus de gratitude qu’à tout autre homme », il n’y eut jamais pleine harmonie, sympathie absolue. Tant qu’ils furent tous deux protestans, Newman fut de beaucoup le plus catholique des deux. Dès qu’ils furent catholiques l’un et l’autre, Newman se trouva le plus protestant des deux. Je sais une façon grossière autant que simple d’expliquer ce mystère. C’est elle qu’adopte naturellement M. Purcell, toujours à l’affût de tout ce qui peut rabaisser son héros. Pour lui, il ne saurait faire de doute que Manning, serviteur de la fortune, adorateur du soleil levant, ennemi des causes perdues (je cite mon auteur) se rangea toujours du côté qu’il crut le plus fort et hurla avec les loups à Genève comme à Rome. Cette solution élégante du problème présente, entre autres défauts, celui de laisser sans la moindre explication la conduite de Newman, faisant en sens inverse le même chemin que Manning. La véritable clef me semble être donnée par le contraste de ces deux natures.

L’un est le type même de l’intellectualiste, aux prises avec ses propres conceptions, j’ai presque dit avec les fantômes de son esprit, porté, par scrupule et subtilité, à révoquer en doute ce qui l’attire, à se défier de ses propres postulats, à scier la branche sur laquelle il est assis. L’autre est, dans toute la force du terme, un homme d’action pour qui les idées ne sont pas les jetons d’un jeu infiniment subtil et compliqué, mais des bases d’opérations, les fondemens sur lesquels il faut bâtir. Autant le premier sera fatalement incliné à tourner et à retourner sous toutes les faces son credo, à en chercher avec inquiétude les points faibles, à voir surtout les inégalités et les crevasses du terrain sur lequel il a