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volontiers », et, tout en déplorant qu’ils ne pussent plus se rencontrer, dans cette vie, au pied du même autel, il lui donnait rendez-vous dans l’autre monde.

Il prévoyait la gravité de la crise. Le jour où il avait assisté à Oxford à la dégradation de Ward par l’Université, il s’était tourné vers Gladstone et lui avait dit à mi-voix : Ἀρχὴ ὠδίνων (Archê ôdinôn), voilà le commencement des douleurs. Il ne savait pas si bien prophétiser. Tandis que Gladstone, qui avait en lui assez de confiance pour lui écrire : « Je commence à penser que, sur un sujet d’importance, je ne saurais différer d’opinion avec vous », souhaitait que « le clairon sonnât haut et clair », Manning commençait à être en proie à de cruelles incertitudes. Une mystérieuse, une providentielle destinée, pour lui comme pour Newman, voulut que l’heure du doute coïncidât avec celle du triomphe. S’il avait pu conserver jusqu’au bout la foi sereine et absolue qui lui faisait condamner comme un péché la conversion de Newman, et qui stupéfiait Gladstone, en attribuant à « un manque de vérité » commun à tous les défectionnaires les soumissions à Rome, il eût été plus heureux et plus fort. Deux jours après la grande trahison de Newman, il pouvait encore affirmer à un intime que « rien au monde ne pouvait ébranler sa foi à la présence du Christ dans l’église anglicane et dans ses sacremens. »

Pour un homme d’action, à l’heure même où il est appelé à défendre la plus sacrée des causes, cette certitude est indispensable. L’angoisse de la perdre peu à peu ne lui fut pas épargnée. Il se vit forcé, d’une part, de constater les contradictions insolubles entre la théorie de l’anglo-catholicisme et les réalités de l’anglicanisme. D’autre part, les progrès constans de sa vie intérieure et spirituelle, de sa piété de plus en plus mystique, de son zèle pastoral, de son ascétisme, de sa sainteté, créèrent en lui des besoins nouveaux auxquels l’Eglise anglicane ne pouvait offrir que d’illusoires et mensongères satisfactions, mais que l’Eglise catholique était pleinement en mesure de satisfaire. Dès 1846 il notait dans son journal que l’Eglise anglicane, à ses yeux, était malade organiquement et fonctionnellement ; que, sous le premier rapport, elle était séparée de l’Eglise universelle et de la chaire de Pierre, soumise sans appel au pouvoir civil, dépouillée du sacrement de pénitence et du sacrifice quotidien de l’Eucharistie, privée des ordres mineurs et mutilée dans son rituel ; que, sous le second point de vue, elle n’avait plus de service quotidien, ni de discipline, ni d’unité dans la dévotion ou le rituel, ni d’éducation préparatoire pour son clergé, ni de vie sacerdotale chez ses évêques et ses prêtres, ni de prise sur la conscience