égala celle de son grand adversaire Mgr Dupanloup, qu’il s’émerveillait de voir expédier chaque jour des ballots d’écrits. Chez tous les deux, c’était affaire de conscience : si l’un déclarait verser des larmes de sang à la pensée de toutes les âmes que perdrait une définition inopportune, l’autre croyait sincèrement que le salut de l’Eglise et du monde dépendait de la promulgation de cette vérité. A l’intérieur du concile, Manning lutta avec énergie, d’abord pour faire signer et présenter le postulatum ou la proposition qui devait inscrire la question à l’ordre du jour, puis pour obtenir un rapport favorable de la délégation de postulatis ou commission d’initiative, ensuite pour écarter les demandes d’ajournement ou les amendemens et faire voter sur le fond. Sur ce terrain, il déploya toutes les qualités qui eussent fait de lui un parlementaire de premier ordre. En même temps, au dire de bons juges, il se montra le prince des diplomates. L’accès familier que lui accordait la bonté paternelle de Pie IX, lui assurait de précieux avantages dont il n’eut garde de ne point user. Il avait l’entrée d’un escalier dérobé et d’une porte secrète des appartemens du pape au Vatican, et il a décrit lui-même la stupéfaction des diplomates ou des ecclésiastiques qui attendaient patiemment leur tour d’audience dans les antichambres du souverain pontife, envoyant sortir ce visiteur qu’ils n’avaient pas vu entrer. Il se servit à plusieurs reprises de ce privilège pour faire entendre au pape des conseils énergiques ou provoquer des partis décisifs ; il ne s’en servit jamais plus utilement que le jour où, ayant appris que Dœllinger, mis par l’opposition en possession du schema de la constitution, se préparait à pousser le gouvernement du roi de Bavière à prendre l’initiative d’une intervention préalable des puissances, il courut demander au saint-père de le relever de son serment de secret afin de pouvoir communiquer à M. Odo Russell le véritable état des choses, et de le mettre à même d’empêcher une fâcheuse décision du cabinet Gladstone.
C’est dans ses relations avec M. Odo Russell que Manning lit surtout preuve des qualités qui auraient fait de lui un ambassadeur ou un homme d’État éminent. Il s’était lié avec ce diplomate grand seigneur qui remplissait depuis dix ans avec distinction à Rome une mission sans caractère officiel. Tout whig et protestant qu’il fût, le neveu de lord John Russell avait pris un goût passionné pour la Ville Eternelle, ne souhaitait que d’y prolonger son séjour, et était devenu partisan convaincu du maintien du pouvoir temporel et de la définition du dogme de l’infaillibilité. Un tel état d’esprit chez le représentant de Sa Majesté britannique le rendait précieux à cultiver. En dehors des entrevues et des entretiens de la semaine, chaque samedi, jour où le concile chômait,