Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

début n’avaient pas toutes désarmé ; plus d’une haine de dévots couvait sous la cendre ; mais les voix ennemies s’étaient tues ; son autorité parmi les catholiques égalait presque sa popularité au dehors. A Rome, bien qu’il souffrît d’y constater une certaine décadence, un certain rétrécissement d’esprit, il était toujours une puissance. On le vit bien non seulement sous Pie IX, mais, après la mort de ce pontife, au conclave où une réunion de cardinaux italiens, parmi lesquels figuraient Leurs Eminences Franchi, Bilio, Bartolini, Monaco et Nina, offrit en toute sincérité la tiare à l’archevêque de Westminster, et où il fut l’un des principaux promoteurs et auteurs de l’élection du cardinal Pecci. Ce simple fait nuit fort à la légende de l’antagonisme de Léon XIII et de Manning. S’il n’y eut pas entre eux l’amitié unique qui lia celui-ci avec Pie IX, le nouveau pape eut soin de prodiguer au cardinal-archevêque de Westminster, lors du voyage qu’il fit ad limina apostolorum depuis son avènement, les marques d’une confiance et presque d’une déférence bien méritées, et de suivre ses avis sur les personnes et les choses de l’Angleterre. Il suffit de rappeler la part que prit Manning au triomphe des idées du cardinal Gibbons devant le tribunal suprême où elles avaient été traduites et de signaler l’accord profond des grandes encycliques de Léon XIII avec toutes les conceptions religieuses et sociales de l’archevêque de Westminster pour réfuter ces sottes inventions.


III

Manning, depuis que le concile du Vatican eut réalisé son programme ecclésiastique, put, sans craindre d’être attaqué par derrière ou de voir le sol s’effondrer sous ses pas, poursuivre la réalisation de son programme social. Il avait été tout naturellement amené à cet ordre de préoccupations par l’exercice d’une charité qui l’avait mis en contact avec toutes les souffrances de notre temps. Dans ces affreux repaires de l’East-End de Londres, il avait appris à connaître cette misère, dont la pauvreté matérielle et le dénuement de tout ne sont qu’un des traits, et non le pire ; qui est dégradée par les conditions de son existence, à qui l’excès même de ses besoins interdit l’espoir de remonter à la surface, et qui est rendue criminelle malgré elle par l’infamie des circonstances qu’elle subit. Il était descendu au fond de cet enfer auprès duquel celui du Dante est un séjour de bienheureux. Là, il s’était rencontré avec ce héros de la charité protestante : lord Shaftesbury. On goûte la plus pure et la plus haute des joies à voir ces deux grands chrétiens, placés aux antipodes de la pensée et de