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Elisabeth, quand Mme de Marsan le leur permettait, furent enchantées de voir une nièce plus grande rechercher leur compagnie et accepter leur direction. Sa bonne volonté méritait une récompense ; elle fut gracieusée, flattée, choyée ; on lui confia la clef d’un passage de l’appartement, pour qu’elle y pût venir sans suite et à toute heure ; on s’ingénia à lui trouver des amusemens, à lui proposer des promenades, à lui donner des habitudes. De là à confisquer son initiative, à mettre au second plan la princesse qui devait être au premier, il n’y avait qu’un pas ; Madame Adélaïde, qui rêvait toujours de gouverner, compta bien y atteindre un jour et commença par dicter à la Dauphine ses moindres jugemens sur les gens et les choses de la Cour.

Marie-Antoinette avait d’autant moins de peine à adopter les antipathies de ce milieu qu’elle les ressentait instinctivement elle-même et qu’elles étaient d’accord, sauf pour Choiseul, avec celles de son mari. Parmi tant d’intrigues dont elle se voyait entourée, Mesdames, avec des travers et des petitesses qu’elle n’apercevait pas encore, représentaient certainement l’honnêteté. Mais n’y avait-il pas péril, pour une nouvelle venue dans la famille, à suivre trop ardemment la conduite de Mesdames envers la favorite de leur père ? Louis XV n’admettait pas qu’on discutât ses amours et jusqu’à présent n’avait toléré que de ses filles seules certaines marques apparentes de désapprobation. Marie-Antoinette, impétueuse de franchise et toute de premier mouvement, était incapable de dissimuler son dégoût. Par bonheur, la Cour à Compiègne avait plus d’espace qu’à Marly ou à Choisy ; la Dauphine ne voyait Mme du Barry que de loin, à la messe, à la chasse, au grand couvert, et le Roi qu’en présence de Mesdames. Les occasions dangereuses étaient donc rares. Mais à M. de la Vauguyon et à sa sœur, Mme de Marsan, qui presque chaque jour venaient lui faire leur cour, Marie-Antoinette marquait une froideur d’autant plus blessante qu’elle était aimable pour tous. L’hypocrisie de ces dévots d’ambition la révoltait et elle tenait chez ses tantes, très hardies elles-mêmes à portes closes, les propos les plus vifs sur ces sortes d’honnêtes gens. Mme de Narbonne, fière d’une si auguste recrue au camp de Mesdames, faisait sonner au dehors les malices d’une princesse qu’il lui souciait peu de compromettre ; et déjà le parti Du Barry savait qu’outre l’hostilité du Dauphin, il fallait compter désormais avec celle de la petite Dauphine.

Mme du Barry comblait l’irritation de Marie-Antoinette par une maladresse qu’elle dut regretter ensuite, mais qui touchait trop directement la jeune femme et intéressait trop de gens autour d’elle pour qu’on pût la pardonner. Pendant un court séjour à