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seuls, il le savait bien, l’indécision du Roi et son goût d’habitude pour les gens qui le servaient. Mais l’intrigue se resserrait autour de Louis XV. Les habiletés de Choiseul se retournaient contre lui. On présentait au Roi des billets non datés où le ministre poussait le Parlement à la fermeté, et qui se rapportaient à la vieille affaire des Jésuites ; on dénonçait le double jeu par lequel il avait essayé un moment, pour se rendre nécessaire, de pousser l’Espagne, alliée de la France, à faire la guerre à l’Angleterre ; on insinuait enfin que Choiseul, insatiable de pouvoir, aspirait à régner sous un nouveau prince et s’était assuré dans ce dessein l’attachement de la Dauphine. Le chancelier, dont le Roi ne pouvait se passer dans le conflit parlementaire, offrait sa démission si Choiseul était gardé. Enfin Condé, tout acquis à la favorite, venait de Chantilly lui porter son appui et satisfaire une récente rancune contre le ministre qui avait fait manquer à son fils la riche dot de Mademoiselle de Penthièvre. Après un entretien avec le prince, le Roi se décidait. Le 24 décembre au matin, M. de La Vrillière allait chez MM. de Choiseul et de Praslin demander leurs démissions et porter les ordres d’exil.

On connaît les incidens qui suivirent la disgrâce de Choiseul et le triomphal adieu que lui fit la capitale. Peut-être sait-on moins la rage qui s’empara de lui et la longue colère qui le rongea. Personne ne vit le ministre avant son départ pour Chanteloup : Mmes de Choiseul, de Gramont, de Beauvau, purent établir aisément la légende de sa sérénité philosophique. Quelques jours après, l’attitude était prise ; on se mettait à jouer fort convenablement les Cincinnatus pour le Parlement et pour Ferney. L’opinion, d’ailleurs, se prononçait ardemment en faveur du vaincu de Mme du Barry. Jamais événement n’avait amené une protestation aussi générale contre le pouvoir absolu. Mais dans ce petit monde à part qu’était Versailles, il n’en allait pas de même. Le parti vainqueur, déjà puissant, s’y fortifiait à l’instant de toutes les trahisons et de toutes les lâchetés. Le nom des disgraciés cessait, selon l’usage, d’être prononcé devant le roi. Lui seul se permettait, de temps à autre, quelques petites férocités de parole, qui allait ranimer les irritations de Chanteloup et faisait taire autour de Louis XV toute voix d’excuse, toute sympathie pour l’exilé.


Ce qui intéressait la Cour à présent, c’était la conduite qu’allait tenir la Dauphine. L’homme de l’alliance, l’auteur du mariage disparaissait de la scène ; on savait l’affection que Marie-Antoinette avait pour lui et celle aussi de Marie-Thérèse, qui venait de lui envoyer, en amie, du tokay impérial ; on attendait une