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d’une fois la réalisation. Mais elle savait qu’on aimait à y parler d’elle, et il lui arrivait, en montant en carrosse, de chercher d’un furtif regard ces fenêtres de la cour de marbre, aux volets dorés ouverts dans les sculptures des combles.

C’est en se faisant accueillir de la favorite qu’on était le plus assuré de gagner les bonnes grâces du Roi. Le prince héritier de Suède, qui allait être Gustave III, après avoir dansé au bal de la Dauphine, venait porter des hommages plus intimes chez Mme du Barry et laissait au petit chien un riche collier de diamans pour rappeler le souvenir de ses entretiens politiques. En revanche, les boudeurs et les austères qui n’y paraissaient jamais, amassaient des menaces sur leur tête. L’aimable « muse » dont Drouais préparait le portrait pour le Salon n’était point méchante de sa nature, aigrie seulement par les sarcasmes qui l’empêchaient de jouir paisiblement de sa fortune ; c’était une vengeance de ses longues angoisses d’avant la présentation, que ce rôle de malfaisance où lui étaient livrées noblesse, armée, magistrature. Les rancunes d’elle et des siens se satisfaisaient aisément par une signature distraite prise au Roi pendant qu’il surveillait son café dans la cafetière d’argent. « La dame du Barry, écrit Mme du Deffand, a déclaré qu’elle voulait qu’on éloignât de la Cour tous les amis de M. de Choiseul, qu’on leur ôtât toutes les places et emplois qu’il leur avait donnés… La dame est plus souveraine que ne l’était sa devancière et même le cardinal de Fleury… Ce temps-ci est affreux ; on ne peut prévoir où il finira. » Si M. de Breteuil n’obtenait pas l’ambassade de Vienne, si M. d’Usson était révoqué de celle de Suède, si l’évêque d’Orléans, qui tenait la feuille des bénéfices, était exilé, si M. de Beauvau attendait d’un moment à l’autre le retrait de son gouvernement du Languedoc, qui vint en effet, c’est qu’ils étaient tous plus ou moins Choiseuls ; et ce n’étaient que les victimes les plus éclatantes de cette petite Terreur, dont Mme du Deffand, la comtesse d’Egmont et bien d’autres font la chronique indignée.

La Dauphine fut présente à l’acte le plus solennel de ce régime nouveau, au grand coup public frappé par le chancelier en ce lit de justice du 13 avril tenu dans la grande salle des gardes du château de Versailles. On y installa cette Cour improvisée, bien vite appelée Parlement Maupeou. De la « lanterne » dressée pour la famille royale dans un angle de la salle tendue de fleurs de lis, Marie-Antoinette assista à la condamnation d’un parti qui ne lui voulait aucun mal, à l’écrasement définitif de tout ce qui se réclamait de M. de Choiseul. A l’issue de cette cérémonie, elle vit exiler de la Cour les princes du sang qui ne s’y étaient pas rendus, ne pouvant, avaient-ils écrit au Roi, donner leur suffrage