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et m’inspirera coque je dois faire ; je l’en ai prié de bon cœur. »

La docilité de la Dauphine est désormais acquise aux moindres prescriptions de Mercy. Ce voyage de Compiègne de 1772 est la contre-partie de celui de l’année précédente. Elle rencontre chez le Roi l’homme qu’elle a le plus en horreur, d’Aiguillon, surmonte sa répugnance, s’approche de lui et lui parle longtemps. Elle suit la recommandation reçue « de ne jamais laisser voir aux gens qu’on les a démasqués. » L’orgueil maladif de d’Aiguillon entrevoit les plus flatteuses espérances ; brouillé qu’il est avec les Rohan et le chancelier Maupeou, inquiet de l’ambition croissante de ce dernier, sentant surtout que Louis XV subit ses services sans s’y habituer, il envisage une chance de se consolider par la faveur de la Dauphine. Un simple entretien de salon en a fait un ministre des affaires étrangères qui ne travaillera pas contre l’Autriche.

Le résultat n’est pas moins heureux du côté de la favorite. Mme du Barry se présente, à l’heure de la cour, avec la duchesse d’Aiguillon, chez la Dauphine. Celle-ci, prévenue le matin par Mercy, s’est préparée à lui parler ; elle ne le fait pas directement, mais, tournée de son côté, dit quelques mots sur le temps, sur les chasses… Mme du Barry peut croire ou laisser croire que ces précieux propos se sont adressés à elle aussi bien qu’à la duchesse. Elle se retire enchantée et va conter au Roi qu’on s’est adouci pour elle. Il y a plus : Louis XV soupe tous les jeudis au pavillon du Petit Château, dont la favorite fait les honneurs et où naturellement les princesses ne vont point ; le Dauphin, qui était de ces parties les autres années, a refusé d’y retourner, et ce dédain a affecté le Roi. Mercy, qui surveille les occasions de faire agir son Archiduchesse, la supplie de décider son mari à reparaître à ces soupers. Elle y parvient, et le comte s’empresse de faire savoir à Mme du Barry qu’elle doit ce retour à la Dauphine. Le Roi en est touché ; un jour de chasse dans la forêt, comme il est monté dans la calèche de Marie-Antoinette, on arrive par hasard au carrefour où il l’a rencontrée pour la première fois à son arrivée d’Allemagne : il déclare aussitôt qu’il veut célébrer à la même place le souvenir de cette heureuse journée, et embrasse à plusieurs reprises l’aimable Dauphine qui cherche maintenant à lui complaire.

Tous ces menus actes, qui semblent indifférens à la politique, servent, presque autant que les négociations de M. de Kaunitz, les vues du cabinet de Vienne. Le parti Du Barry, que les grands soucis nationaux n’inquiètent guère, n’a plus d’intérêt à combattre l’Archiduchesse, s’il a l’espoir de se l’acquérir, et il en a