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place ; il en a fait sortir la garnison ; puis il a abandonné un point stratégique qui, dans le nouveau plan adopté, n’avait plus d’intérêt pour lui. Très probablement, d’après le langage tenu par M. le duc di Sermoneta, Kassala aurait été évacué et abandonné de même, c’est-à-dire sans le moindre regret, si les Italiens ne devaient pas aujourd’hui, par une sorte de renversement des rôles, aider les Anglais dans leur future expédition sur Dongola et maintenir, au moyen d’une diversion obstinée, une partie des forces mahdistes dans le sud-est. Quoi qu’il en soit, le gouvernement italien, qui se laissait autrefois aller à l’aventure, a désormais une politique précise, c’est-à-dire limitée. Une interpellation lui a permis de la soumettre à la Chambre : il l’a fait sans aucune espèce de réticence. M. le marquis di Rudini a tenu à déclarer avant le vote qu’il était absolument résolu à évacuer Adigrat : il a voulu dissiper tous les malentendus sur ses intentions. M. Crispi n’a pas pris la parole ; il a laissé ce soin à ses lieutenans. Le résultat a été une majorité considérable en faveur du nouveau cabinet.

Cela prouve une fois de plus que la meilleure tactique parlementaire consiste à être franchement ce qu’on est, à le dire très haut, et à se fier au jugement du pays et de ceux qui le représentent. Que reste-t-il aujourd’hui de la politique de M. Crispi ? Elle est désavouée par la Chambre même que M. Crispi a fait élire. Il n’aurait peut-être pas fallu un grand effort à M. di Rudini pour obtenir de cette même Chambre qu’elle mît M. Crispi en accusation. Les adversaires les plus ardens de l’ancien dictateur le demandaient ; M. di Rudini s’y est refusé. Il veut la paix au dedans comme au dehors ; il repousse avec énergie les mesures qui auraient pour résultat de surexciter les passions, alors qu’il se propose de les calmer : il mérite d’y réussir. En tout cas, son attitude est très honorable. Ses adversaires annoncent une nouvelle discussion sur les affaires de Sicile, et ils en prédisent le résultat qui, d’après eux, sera la chute du cabinet. C’est ce qu’on nous permettra de ne pas croire. La majorité qui vient de se former autour de M. di Rudini est solide, parce qu’elle est une majorité de raison. Le nouveau ministère n’excite pas l’enthousiasme, mais il rassure, — sentiment qui, depuis quelques années déjà, était devenu étranger à l’Italie.


FRANCIS CHARMES

Le directeur-gérant, F. BRUNETIERE