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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/497

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je ne puis douter, par toutes les bontés que vous avez eu pour moy, que vous ne m’ayés pardoné d’avoir esté une fille[1]. » Monsieur n’en envoyait pas moins à Turin le comte de Tonnerre, premier gentilhomme de sa chambre, pour complimenter son gendre, et celui-ci était reçu par la duchesse Anne au plus fort de son indisposition subite « afin qu’elle eût la joye d’apprendre par luy des nouvelles de Monsieur. » Mais la question se posait à Versailles de savoir « s’il fallait que le Roi y envoyât, à cause que ce n’était qu’une fille[2]. » On rechercha les précédens, et on trouva que le Roi avait envoyé en Portugal complimenter pour ta naissance d’une princesse. Le marquis d’Urfé, un petit-neveu de l’auteur de l’Astrée, fut choisi sur sa demande, car il avait des intérêts en Piémont. D’Urfé recevait pour instructions de présenter au duc de Savoie la lettre que Louis XIV lui écrivait de sa propre main et de lui dire « que Sa Majesté fust portée d’autant plus volontiers à luy donner ces marques extraordinaires de la considération qu’Elle a pour luy, et de la part qu’Elle prend aux bénédictions que Dieu commence à répandre sur son mariage, qu’Elle ne doute point que ses intentions et ses actions ne répondent toujours parfaitement à l’étroite alliance qui l’unit de si près aux intérêts de Sa Majesté ; qu’Elle espère aussy que l’heureux accouchement de Madame de Savoye sera suivy, dans quelque temps, de la naissance d’un prince qui augmentera encore la satisfaction de Sa Majesté et qu’Elle verra toujours avec un sensible plaisir tout ce qui pourra lui arriver de prospérité[3]. »

D’Urfé s’acquittait fort exactement de sa mission et il en rendait compte à Croissy dans plusieurs lettres qui ne sont pas sans agrément. Celle où il relate l’audience qu’il eut de la duchesse Anne ne laisse pas d’être assez piquante : « Cette princesse, écrivait-il, étoit dans un lict assez beau. Il est brodé de perles sur du velours cramoisi. Ceux qui n’ont point vu les meubles du Roy le croient le plus beau du monde. Comme je ne suis pas chargé de les désabuser, je me suis contenté de dire mon sentiment de manière à leur faire connaître que celui-ci est riche, mais qu’il n’est

  1. Arch. d’Etat de Turin : Lettere di Maria Adélaïde di Savoia scritte à la duchessa Giovanna Battista sua avola. 13 déc. 1698. Les lettres de la duchesse de Bourgogne à sa grand’mère, qui sont aux Archives de Turin ont presque toutes été publiées en 1864 par la comtesse della Rocca (Paris, Michel Lévy), qui a fait précéder cette publication d’une judicieuse et délicate introduction. Elle a cependant abrégé quelques-unes de ces lettres, et a cru devoir en corriger l’orthographe, qui est en effet très défectueuse. C’est ce qui nous a déterminé à rétablir le texte de celles que nous aurons occasion de citer d’après les originaux qui sont aux Archives de Turin.
  2. Mémoires du marquis de Sourches sur le règne de Louis XIV, publiés par le comte de Cosnac, t. I, p. 345.
  3. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 81. Instructions données au marquis d’Urfé.