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puissances du siècle. C’est ainsi qu’elle a grandi et c’est ainsi qu’elle a été un des instrumens de la transformation économique du monde moderne. Mener les événemens, ouvrir aux peuples des voies nouvelles, imposer une direction aux sociétés humaines, se faire le guide des nations, les conduire vers un but spirituel, vers une Jérusalem terrestre ou céleste, vers une Terre Promise politique ou religieuse, c’est là une ambition que peut avoir le tribun, le prêtre, l’apôtre, l’écrivain, le plus humble des hommes qui tiennent une plume ou qui parlent aux foules. L’ambition des hommes d’argent ne se hausse pas si haut ; ce n’est pas là le genre de royauté qu’ils convoitent ou qu’ils exercent. Leur royaume n’est pas celui de l’esprit. Ici encore, à regarder l’action sur les hommes et sur l’histoire, j’oserai dire de ceux qui ont choisi la richesse, qu’ils n’ont pas pris la meilleure part. Quoi qu’en ait une époque matérialiste jusqu’en ses révoltes contre la prépotence de l’argent, le sceptre de la Bourse n’est pas le sceptre du monde. L’or, aussi, a ses servitudes, et le seul libre des hommes est celui qui sait s’en passer. Les affaires sont une chaîne pour ceux mêmes qu’elles font grands et puissans. Riche ou pauvre, pour être indépendant, il faut être désintéressé. Un penseur, un écrivain, un homme de peu de besoins, sans autre souci que celui de la vérité, sans autre force que sa raison, sans autre autorité que sa droiture, ne craindra pas d’entrer en lutte avec les puissances régnantes, princes ou peuples. De pareilles audaces ne conviennent pas aux hommes d’affaires, aux hommes d’argent, aux rois de l’or, à tous ceux qui ont à prendre l’avis de leur coffre-fort ; — car les conseils du coffre-fort sont, d’habitude, des conseils de complaisance.

Si les banquiers ont des relations avec les pouvoirs publics, ce sont des relations d’affaires, ou en vue des affaires ; et ils ont trop à gagner ou, ce qui revient au même, ils ont trop à perdre, avec les pouvoirs publics, pour s’amuser à les froisser sans profit. Prenez l’histoire ; presque partout, le premier souci des financiers est d’être bien en cour. S’il est vrai que les gouvernemens ont parfois besoin des banquiers, il est également vrai que les banquiers ont souvent besoin des gouvernemens, qu’ils ont du moins tout intérêt à ne pas se brouiller avec les gouvernemens. Ils le savent, et, juifs ou chrétiens, ils s’appliquent, en chaque Etat, à se maintenir en bonnes relations avec le pouvoir. Ils sont heureux, à l’occasion, de lui rendre de petits services. On va répétant, autour de nous, que les gouvernemens sont les serviteurs, les valets de la haute banque. On pourrait, aussi souvent et sans plus d’injustice, dire, tout au