Que le régime autrichien soit trop ancien dans ses parties anciennes, favorisant la grande propriété et la propriété féodale ou seigneuriale ; que, dans ses parties plus récentes, il ne soit pas assez moderne, s’en tenant au cens et ne descendant pas jusqu’au suffrage universel, c’est ce que l’empereur lui-même et ses ministres ont compris, ce à quoi le projet du comte Badeni, à cette heure soumis au Reichsrath, a pour objet de remédier. Car ce projet créerait une cinquième catégorie d’électeurs, à laquelle 72 sièges seraient attribués, le nombre total des députés étant ainsi porté de 353 à 425. Pour la cinquième classe, plus de cens : en seraient « tous les sujets autrichiens du sexe masculin, indépendans, âgés de 24 ans révolus, non privés de leurs droits par jugement et domiciliés depuis six mois dans la circonscription. » Le projet n’exclut que « les personnes qui, servant comme domestiques, sont logées dans la maison de leurs maîtres. » Seulement, il institue une sorte de vote plural, de double vote au profit des quatre premières classes, puisqu’il dispose que les électeurs des quatre classes actuellement existantes seront aussi de droit électeurs dans la cinquième classe à créer ; et, par là, ce qu’on accorde d’une main, on en vient presque à le retirer de l’autre. Quant à la manière de voter, le suffrage à deux degrés serait maintenu pour la quatrième classe (électeurs censitaires de 5 florins au moins dans les communes rurales), et pour la cinquième classe projetée, il serait direct ici, et là, à deux degrés, selon la nature et l’usage des lieux.
Le gouvernement autrichien a donc reconnu le besoin de rajeunir le régime électoral de la monarchie, et s’efforce de le rajeunir par en bas, si, par en haut, il n’y touche point. Mais il le rajeunit sans le bouleverser, sans le transformer, sans en changer le caractère ; c’est la preuve que l’expérience peut avoir été médiocre ; elle n’a pas été si mauvaise qu’elle aboutisse à l’abandon définitif. Et c’est un motif de penser qu’elle n’a été médiocre, cette expérience, que parce que le régime contenait et contient des élémens anciens qu’il eût dû rejeter, ne contenait pas des élémens modernes qu’il eût dû déjà appeler à lui ; ou que le dosage en était mal fait ; qu’il y avait trop de ceux-ci et pas assez de ceux-là.
Mais, serrant de plus près les choses, et jugeant par rapport au triple objet de l’élection dans l’État moderne : 1° comme base de gouvernement, il ne paraît pas que ce régime ait été plus instable, peut-être l’a-t-il été moins que d’autres ; 2° au point de vue de la législation, celle qui en est sortie ne semble sûrement pas être d’une qualité inférieure ; 3° et pour ce qui est de la représentation même, la physionomie du pays, du pays vrai et du pays vivant, ne s’y réfléchit-elle pas comme en un « miroir »