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ou l’instabilité des nouvelles font que, sur les marches des trônes, jusque parmi les frères ou les fils des rois, chacun se demande s’il n’aura pas quelque jour, besoin de l’amitié, besoin de la main d’un banquier. Altesses et Majestés ont des soucis qu’elles ne connaissaient guère autrefois. Quand Louis XIV, à Marly, faisait des politesses à Samuel Bernard, Louis XIV ne songeait qu’au bien de l’Etat. Aujourd’hui, s’il a des prévenances pour les financiers, s’il leur fait l’honneur d’assister à leurs chasses ou à leurs fêtes, un prince songe moins à l’Etat qu’à lui-même et à sa famille.

Les dynasties séculaires et les têtes couronnées ne se sentent pas toujours sûres du lendemain ; les souverains les plus puissans, en visitant les châteaux de leurs aïeux, se demandent, tout bas, ce qui restera à leurs enfans de tant de palais bâtis par leurs pères. La liste civile peut venir à manquer ; puis, la liste civile est maigre, et, pour les cadets du moins, il n’est pas toujours aisé, aux princes les plus populaires, d’obtenir de l’avare parcimonie des Chambres une dotation convenable. Rois, empereurs, grands-ducs, plus ou moins embourgeoisés, l’ont presque tous, aujourd’hui, comme de simples particuliers, des économies qu’ils n’ont garde de placer entièrement en terres ou en rentes nationales ; — terres et rentes rapportent peu, terres et rentes se confisquent. Ils ont, presque tous, leur pécule secret, leur trésor privé qu’ils font valoir de leur mieux, s’appliquant à le grossir, le confiant volontiers aux banquiers en renom, cherchant, pour ce précieux dépôt, les coffres-forts les plus solides ou les mains les plus habiles. Un grand banquier sait, à l’occasion, rendre des services, donner des avis que, faute d’autre monnaie, on lui paye en frais d’amabilité, en décorations, en titres. De là les égards témoignés par tant de princes aux financiers que leurs ancêtres, plus libres, faisaient passer en chambre ardente, quand ils ne les expédiaient pas à Montfaucon.

Voilà pour les plus sages, pour les meilleurs, les bons pères de famille ; quant aux autres, les dissipateurs, les prodigues, ils ont leurs raisons, à eux, de faire bonne mine aux potentats de la Bourse. Les princes, les jeunes, — et souvent les vieux aussi, — aiment à s’amuser. Ils ont la passion des plaisirs, permis et défendus. La flatterie des courtisans, la vanité des hommes et des femmes du monde ont beau leur offrir mainte distraction gratuite, ils ne peuvent toujours s’amuser sans bourse délier. Aux grandes dames, ils ont souvent le mauvais goût de préférer les princesses de la rampe ; ce qu’ils goûtent le plus du théâtre, ce sont souvent les coulisses ; ils aiment le jeu, ils raffolent des courses, et leur jeu et leurs paris doivent être à la hauteur de