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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/663

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mais d’abord, sans système, au hasard, afin de guetter selon quels procédés neufs, sous quelles formes multiples, par quels détours-inaperçus, Ruskin a fait courir à cette pensée esthétique, à cette religion de la beauté, le peuple le moins artiste de la terre. Ecoutons-les toutes, sans distinction : paroles de la vingtième année et paroles de la soixante-seizième année, paroles destinées à prouver, paroles destinées à dépeindre, paroles destinées à émouvoir, paroles de l’écrivain, paroles du conférencier et paroles du guide, c’est-à-dire paroles qui viennent vous trouver au coin du feu d’hiver, alternant avec les crépitemens des branches dans l’âtre, paroles qui furent prononcées dans une assemblée vibrante aux impressions réflexes sur l’orateur, ou paroles que vous lirez seulement devant les monumens lointains, sur les marches des campaniles ou sur les rampes des montagnes, — paroles qui instruisent, paroles qui évoquent, paroles qui entraînent, ou au contraire-vous arrêtent et vous retiennent immobiles sous une voûte cachant une immensité ou sur une tombe cachant un néant… En analysant quelques-unes de ces paroles, nous comprendrons peut-être-pourquoi elles furent tant écoutées.


I

On dit qu’en 1851, des fermiers de l’Ecosse voyant aux devantures des libraires une brochure intitulée : Notes sur la construction des bergeries, par John Ruskin, et pensant y trouver quelques utiles conseils pour procurer un logement sain à leurs moutons, donnèrent leurs deux shillings et emportèrent la brochure. Ils y trouvèrent une thèse théologique, prêchant la doctrine d’ « un seul troupeau et un seul pasteur », et se terminant par l’espoir que l’Angleterre deviendrait une nouvelle Jérusalem. Ainsi, dès le titre d’un ouvrage de Ruskin, l’attention est en éveil et la logique en déroute. L’enseigne est splendide et incompréhensible. Quoi de plus beau que Deucalion, titre si concis qu’il sert d’adresse télégraphique à son éditeur, que la Reine de l’Air, Mimera Pulveris, la Mesnie de l’Amour, la Couronne d’olivier sauvage, Sésame et les Lis, Aratra Pentelici, Ariadne Florentina, ou encore Sur le vieux chemin et Nos pères nous ont dit… ! Mais quoi de moins clair ? Est-il même possible de conjecturer ce qu’on trouvera sous ces pavillons multicolores, claquant au vont ? Et si l’on passe aux sous-titres, quel éclaircissement attendre de ceux-ci pour Sésame et les Lis : « 1° Des trésors des rois ; 2° Des jardins des reines ; 3° les Mystères et les Arts de la vie ? » ou de celui-ci pour Hortus Inclusus : « Messages de la Forêt vers le Jardin ? »