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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/678

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cela d’une créature humaine, incapable d’erreur. Aussi loin qu’elle gouverne, tout doit aller droit, ou bien rien ne va. Elle doit être bonne, constamment, incorruptiblement ; sage, instinctivement, infailliblement, sage, non pour son propre développement, mais pour sa propre renonciation, sage, non pour s’élever au-dessus de son mari, mais pour ne jamais faillir à son côté ; sage, non avec l’étroitesse d’un orgueil insolent et dénué d’amour, mais avec la douceur passionnée d’une serviabilité modeste, infiniment multiforme, parce qu’infiniment applicable, — la vraie mobilité de la femme. — Dans ce grand sens, la donna è mobile non « comme la plume au vent, » ni même « variable comme l’ombre faite par le léger tremble frissonnant », mais variable comme la lumière, infiniment diverse dans sa belle et sereine répartition, — la lumière qui prend la couleur de tout objet qu’elle touche, mais afin de la faire briller[1].


C’est toujours d’un œil de peintre que l’écrivain scrute les dogmes et déchiffre les chartriers. Pour lui, l’histoire est une place publique, perspectivée par Canaletto, où vont et viennent des personnages splendidement ou misérablement vêtus, à la Guardi ou à la Tiepolo, portant des bannières qu’il décrit avec joie, composant des blasons qu’il analyse avec soin, frappant des monnaies qu’il fait miroiter devant vos yeux, d’un geste prompt et subtil. Un trèfle gravé sous les pieds du saint Jean dans un florin frappé au val de Serchio lui représente toute une victoire des Florentins sur les Pisans et il suit la marche du parti populaire de Florence à la progression d’une couleur sur les armoiries d’une ville comme on suit celle des heures à quelque ombre montante sur un mur :


J’ai esquissé pour vous ce lis vu de la base de la tour de Giotto. Vous pouvez juger par les sujets de sculpture, à ses côtés, qu’elle fut bâtie précisément dans le paroxysme de son triomphe commercial ; car tous les bas-reliefs extérieurs se rapportent aux métiers…

Une querelle étant survenue, en 1251, avec la ville gibeline de Pistoie, les Florentins, sous un podestat milanais, livrèrent ce qui fut, à proprement parler, leur première bataille communale et commerciale avec un grand carnage de Pistoiens. Assez naturellement, mais très imprudemment, les Gibelins de Florence ne voulurent point prendre part à cette bataille ; sur quoi, le peuple revenant très échauffé par la victoire les chassa et établit à Florence un gouvernement purement guelfe, changeant en même temps le drapeau de la cité, qui était de gueules au lis d’argent, en un d’argent au lis de gueules, mais le plus ancien blason de tous, simplement divisé par pal d’argent et de gueules, demeura toujours sur leur carroccio de bataille : non si muto mai.

Non si muto mai, cet ancien écu de Florence, divisé par pal d’argent et de gueules, c’est l’héraldique incommutable dans sa signification déclarant la nécessité de l’équilibre dans le gouvernement des hommes entre les pouvoirs rationnel et imaginatif : la neige de l’Alpe et le nuage embrasé.

  1. Sesame and Lilies. Of Queens’ Gardens.