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avec une fontaine obligée à jaillir en un filet d’eau, et une inscription sur une de ses pierres rapportées :


Aux botanistes
Le club jurassique.


Ah ! maîtres de la science moderne, rendez-moi mon Athéné, faites-la sortir de vos fioles et enfermez-y sous scellés, s’il se peut, une fois encore Asmodée ! Vous avez divisé les élémens et vous les avez unis ; vous les avez domestiqués sur la terre et vous les avez discernés dans les étoiles. Enseignez-nous maintenant, seulement ceci, qui est tout ce que l’homme a besoin de savoir, — que l’air lui a été donné pour sa vie, et la pluie pour sa soif et pour son baptême et le feu pour sa chaleur et le soleil pour sa vue, et la terre pour sa nourriture, — et pour son repos[1].


Ne vous étonnez point de ce cri de détresse, à propos d’une fumée qui passe, ni de ces pleurs sur une touffe de saponaire qui a manqué au rendez-vous du printemps. C’est toute la virtuosité de Ruskin, que cette passion. Il n’a décrit que parce qu’il aime. Sa tendresse s’étend sur toutes les choses dont jouissent les yeux : les cristaux dont il a célébré les vertus, les caprices, les querelles, les chagrins et le repos, et les neiges et les glaciers dont il a chanté les voyages, et les pierres dont il a dit la vie, « l’iris de la terre », « les vagues vivantes », la bruma artifex et le « schisme des monts ». Elle s’étend sur toutes les plantes, sur celles qui vivent en campemens, sur le terrain, comme les lis, ou sur la surface des rochers ou les troncs des autres plantes, comme les lichens et les mousses, et qui demeurent là quelques-unes un an, d’autres plusieurs années, d’autres des myriades d’années, mais qui, quand elles périssent, passent comme passe l’Arabe avec sa tente, « pauvres nomades de la vie végétale qui ne laissent pas de souvenirs d’elles-mêmes, » et aussi sur les plantes qui bâtissent, édifient sur la terre et plongent bien loin des racines, — les plantes architecturales. Dans ces plantes, sa tendresse s’étend sur le bouton, et la tige qui porte les boutons perdant de son diamètre à chaque bouton, semblable à la flèche de Dijon ou à la fontaine entourellée d’Ulm ou aux colonnes de Vérone, et à la feuille dont il dit : « si vous pouvez peindre une feuille, vous pourrez peindre le monde ! » et au tronc des arbres, qu’il appelle « un messager vers les racines », et aux racines elles-mêmes qui « ont au cœur avec les boutons un même désir, qui est pour les uns de croître aussi droit que possible vers le ciel brillant, aux autres aussi profondément que possible dans la terre obscure » et il a des larmes encore pour ceux de ces boutons qui n’ont pas éclos, sacrifiés à la beauté de l’ensemble, par une inflexible loi. Et cette

  1. The Queen of the Air.