intelligence moyenne et des talens ordinaires ne lui permettaient pas de chercher dans la politique ces satisfactions d’art qui consolent les orateurs et les écrivains d’avoir dit en vain quand ils ont bien dit. Il ne pouvait prétendre qu’aux joies de l’action. Sa parole et sa plume, massives, vulgaires, lourdes de citations, de documens, de sophismes, n’étaient pas pour lui des armes de luxe, mais les instrumens d’une profession, et peu lui importait leur forme, leur grossièreté, leurs souillures, pourvu qu’ils fissent leur ouvrage, c’est-à-dire creusassent une empreinte dans les faits. Il ne servait pas seulement son dessein à la tribune ou par des écrits : partout où il y avait des initiatives à prendre, des projets à poursuivre, des nouvelles à donner ou à recueillir, il était présent, sans cesse en quête de ses amis pour les maintenir fidèles, des incertains pour les gagner, des adversaires pour les combattre. Pénétrant où il n’était pas attendu, revenant où il n’était pas désiré, à l’épreuve des froideurs et des rebuffades, dépourvu de tous les scrupules qui arrêtent ou retardent, il savait qu’où l’on ne réussit pas à convaincre, il reste à lasser, et que la plus grande puissance de ce monde est peut-être l’importunité persévérante. D’ailleurs prêt à courir le premier les risques des partis où il prétendait entraîner les autres, il aimait le combat jusqu’à en aimer le péril ; et le péril fût-il de ceux où la chair est menacée et la vie en jeu, il était homme à payer bravement de sa personne. Il avait donc à un degré rare l’un des dons les plus nécessaires en tout temps, plus nécessaires encore en 1870.
Mais ici il faut constater une fois de plus combien de raisons contraires et de lacunes différentes peuvent rendre des hommes inutiles à leur pays. Ferry n’avait, pour conduire son activité brutale, qu’une volonté sans principes. Son intelligence, que sollicitaient uniquement l’utile et les réalités immédiates, avait trouvé dans les doctrines positivistes un refuge contre les hypothèses immatérielles, trop lointaines pour sa curiosité. Et son incapacité de croire à l’invisible l’avait plus que personne rendu inapte à se former des doctrines en politique. Celle-ci n’avait pour lui qu’une réalité, le pouvoir. C’est à la possession du pouvoir qu’il marchait avec la vigueur d’un instinct. Il ne s’interrogeait pas lui-même pour savoir ce qui était bon et juste, et se mettre au service de la meilleure cause. Il ne regardait que hors de lui les faits, les circonstances, les forces, pour employer tout à son plus grand et immédiat avantage. Il était allé à la démocratie parce qu’il avait reconnu en elle une puissance, et il la servait pour être porté par elle. Il se défiait des principes comme les gens pieux des scrupules : il estimait qu’ils troublent la