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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/796

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démentiront cette conclusion. Avec le même zèle qu’ils apportaient à la restauration de Cologne, ils ont, dans notre siècle, entretenu pieusement la petite ville de Wittenberg, vrai musée de la Réforme. Sur la grande place, Frédéric-Guillaume III dressa la statue de Luther ; Guillaume Ier la fit dialoguer avec celle de Melanchthon ; Frédéric-Guillaume IV veilla sur les maisons des deux réformateurs ; il fit renouveler, aussi, les portes de l’église du château, qui, sous le poids inattendu des thèses de Luther, n’avaient pas croulé ; il fit inscrire les thèses, sur le bronze ; Frédéric III, prince impérial encore, restaura cette église elle-même. Aux murs intérieurs s’accroche une procession d’écussons nobiliaires ; c’est l’armorial de l’Allemagne protestante, hommage à Luther inhumé dans le chœur. Les temps ont marché depuis que Louis Ier de Bavière édifiait aux environs de Ratisbonne le temple de la Walhalla : dans ce Panthéon germanique, Luther a sa place ; mais on l’y dirait égaré, au moins effacé, parmi les illustrations de cette « grande Allemagne », — autrichienne et néerlandaise autant que prussienne et saxonne, — qu’associait le souverain bavarois en un culte commun. L’hégémonie berlinoise, rétrécissant l’empire pour le mieux exhausser, a construit une « petite Allemagne », où Luther domine ; depuis un quart de siècle, on a multiplié ses statues ; en son honneur, on fait chômer les écoles ; dans ce cadre diminué, les proportions de sa figure ont grandi ; il est devenu le héros germanique par excellence, et le protestantisme se présente comme le légat naturel du germanisme.

Ainsi deux confessions coexistent en Allemagne, dont souverains et sujets, suivant les heures, avouent l’une ou l’autre pour berceau de la grandeur allemande. Dans ce procès en recherche de paternité, une question grave est incluse : fatalement le génie allemand conçoit-il, et fatalement l’empire allemand présuppose-t-il une forme nationale de christianisme ? Et pour l’étude de cette question, l’on commencera de déblayer les avenues, si l’on cherche, par une première reconnaissance, les domaines de ces confessions, et si l’on observe, dans les limites de ces domaines, leur façon de régner ou leur façon d’abdiquer. Mais pourquoi cette géographie religieuse est incroyablement complexe, pourquoi s’émiettent ces domaines, pourquoi s’enchevêtrent ces limites, c’est ce que permettront de comprendre, tout d’abord, certaines remarques d’histoire.