des poussières d’or ; chansons des vendangeurs qui foulent les grappes, vous Mes la musique sociale par excellence, celle de l’humanité primitive et des grands labeurs sacrés. Tandis que vous montez de la terre, d’autres, qui vous sont pareilles, montent des eaux. Comme le laboureur sur la charrue, le pécheur ou le gondolier se courbe en chantant sur les rames, et les flots mêmes sont mélodieux. De l’autre côté des mers, aux rives lointaines, fabuleuses ou sauvages, des milliers de voix s’élèvent encore ; et devant les mosquées de Stamboul ou sous les palmiers du Nil, l’âme des multitudes ignorées, de l’Orient mystérieux, soupire dans la cantilène du muezzin ou du chamelier. Entre les mélopées exotiques et les nôtres, il y a parfois des rencontres inattendues ; il arrive que le biniou de Bretagne, la flûte du Caire et la guitare andalouse chantent en des modes qui se ressemblent étrangement. Ne vous en étonnez pas. Admirez plutôt quelle ouvrière ou quelle interprète d’unanimité internationale peut être la musique, la musique populaire surtout, puisque, s’il est besoin d’innombrables systèmes de mots, il suffit parfois d’un système de sons pour traduire quelques-uns des sentimens élémentaires, mais universels, de l’humanité.
Des formes sonores ainsi créées par le génie de tous, le génie individuel à son tour s’empare. Il se les approprie, il en fait la base et le fond de ses œuvres, de ses chefs-d’œuvre parfois. Si profondément qu’on fouille dans le passé de la musique, on y rencontre le chant populaire. Comme l’écrivait un maître en cette matière, le chant populaire est le « substratum sur lequel se sont accumulées les couches successives de la musique depuis ses premières formations jusqu’aux époques les plus avancées[1]. » La mélodie populaire est partout. Dès le moyen âge on la trouve dans les chants de l’Eglise latine, et en dehors de l’Église elle représente à cette époque la seule forme de poésie et de musique alors connue. De la chanson populaire tout l’art des trouvères est sorti. C’est d’elle aussi que naquit plus tard la polyphonie vocale des XVe et XVIe siècles. Sur des motifs ou seulement sur des intonations populaires, les grands maîtres du contrepoint, les Josquin de Prez, les Roland de Lassus, les Palestrina bâtissaient leurs architectures, et M. Tiersot nous assure que, depuis Dufay jusqu’à Carissimi, le seul thème de l’Homme armé inspira dix-neuf messes et deux chansons. Quand de la polyphonie l’art musical revint à la monodie, l’élément populaire ne resta pas étranger à cette vicissitude. Si plus tard il s’affaiblit dans notre opéra du XVIIe siècle, il
- ↑ M. Julien Tiersot, Histoire de la chanson populaire en France ; chez Plon, Nourrit et Cie et chez Heugel, Paris.