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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/883

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Quoi qu’il en soit, durant les hostilités, l’administration française observa étroitement la neutralité, dictée par le droit des gens : malgré cela, un croiseur italien vint surveiller la côte et jeta l’ancre à Djibouti[1]. — Précautions inutiles, car Ménélik était entré en campagne muni du nécessaire, et, par Zeila, port voisin des possessions françaises et où flotte le pavillon anglais, il pouvait recevoir ce qui lui manquait.

C’est l’Angleterre qui a été la première à reconnaître à l’empire éthiopien le droit de se munir d’armes à feu et de munitions. Cela a été établi surabondamment par la publication, à Rome, du fameux traité Ittwel. De plus, il a été démontré, avec pièces à l’appui, que des négocians de tous pays, y compris des Italiens, des Allemands et des Autrichiens, ont vendu des armes au négus et les lui ont envoyées par Anvers, Gênes et Trieste[2].

Relativement aux fusils Lebel qui seraient sortis des arsenaux français, auraient été envoyés à Ménélik, et dont on aurait trouvé des échantillons à Makalé, sur des cadavres abyssins, il est superflu d’ajouter que l’assertion est fausse en tous points[3]. Elle a, du reste été mise à néant par un correspondant italien, M. Rizzoni, — il est juste de le citer, — qui a eu la loyauté et le courage de protester publiquement. Notre parenthèse avait son utilité, on en conviendra.

Il importe enfin d’ajouter que les Abyssins ont parfois trouvé le moyen de se procurer des armes sans bourse délier. Procédons

  1. Dans les télégrammes et écrits relatifs aux événemens d’Abyssinie, on parle souvent d’Obock comme d’un centre d’importance, mais à tort, car, depuis plusieurs années, cet établissement est délaissé en tant que port et abandonné en tant que chef-lieu colonial en faveur de Djibouti, qui s’est développée grâce à l’initiative privée et aux talens d’administrateur de M. Lagarde, un persévérant et un dévoué. Du reste cette situation vient d’être régularisée par un décret. Djibouti, point principal de la colonie française de la côte des Somalis et débouché naturel du Choa et de l’Abyssinie méridionale, continuera à prospérer.
  2. La Corrispondenza Verde a publié des pièces qui corroborent nos assertions. Ce journal et le Corriere di Napoli ont mentionné qu’au commencement de la campagne, deux maisons italiennes traitaient avec le ras Makonnen, agissant au nom de son maître, pour la fourniture de 60 000 fusils à livrer par une fabrique belge, et au cours d’une polémique soulevée par les journaux ci-dessus, la fameuse maison Lœve et Cie de Berlin, tout en affirmant n’avoir pas fabriqué d’armes pour les Abyssins, a dû avouer qu’un industriel de Liège lui avait acheté des fusils pour les revendre au négus.
    A relater aussi que M. Crispi, ayant risqué des observations à Bruxelles, relativement à des armes commandées par les Abyssins à des fabricans de Liège, il lui a été répondu que les transactions étant privées, on ne pouvait intervenir en aucune façon. La convention de 1890 permettait à la Belgique de parler sur ce ton.
  3. Le négus possède peut-être un Lebel, dit de luxe, modèle qui lui aura été transmis à titre de présent comme, à notre connaissance, il en a été envoyé au tsar Alexandre III, au roi don Carlos, de Portugal, au général Porfirio Diaz, président du Mexique, et à d’autres chefs d’États.