Ajoutons que, durant les hostilités, l’artillerie abyssine s’augmenta encore de quelques pièces prises dans de sanglantes rencontres, comme celles de Dogali et d’Amba-Alaghi, ou saisies dans des postes enlevés comme Antalo[1]. Ce sont encore des négocians qui procurèrent les munitions qu’on ne pouvait fabriquer dans le pays, ainsi que des bâts. (Les mulets abyssins, étant de plus petite taille que ceux d’Europe, nécessitaient des harnachemens appropriés.) Le négus céda quelques canons aux tributaires et ras très en faveur, mais ces derniers n’en pouvaient posséder que deux ; seul le ras Makonnen, investi du grand commandement du Harrar, en reçut une dizaine. Malgré ces dons aux grands vassaux, l’artillerie de Ménélik comptait bien avant la bataille d’Adoua, ainsi que les Italiens l’annonçaient, une quarantaine de pièces de montagne de provenances diverses.
L’empereur a donné à ses canonniers une sorte d’uniforme consistant en une calotte et une tunique rouges, agrémentées d’ornemens verts. Les canonniers, choisis autant que possible parmi les hommes qui ont été en contact avec les Européens, sont tout fiers des marques de bienveillance que leur accorde le souverain. Le docteur Traversi, agent du gouvernement italien, qui a pu assister aux écoles à feu des Abyssins, raconte que ceux-ci tiraient contre des rochers devant lesquels étaient tendus de grands draps blancs, mais que les projectiles n’atteignaient pas toujours ces larges cibles. Le narrateur italien ajoute que, durant le tir, les noirs artilleurs s’animaient, poussaient de grands cris, et se livraient aux fantasias les plus étranges autour de la pièce dont le coup avait atteint le but. Les pointeurs adroits manquaient de modestie. On sent quelque exagération dans ce récit qui n’émane point d’un ami. En tout cas, depuis le départ du docteur Traversi, un Français, M. Clochette, ancien officier, et des Russes de passage, comme le capitaine d’artillerie Zwiaguine et M. Léontieff, ont appris, tant bien que mal aux Abyssins, le service des bouches à feu et le réglage du tir. L’expérience, le meilleur des maîtres, a fait le reste[2].
Les pièces et les approvisionnemens achetés en Europe, passant par les mains d’intermédiaires âpres au gain et étant transportés péniblement à dos de chameaux, de la mer au pied des montagnes, ou à dos de mulets dans le Choa, reviennent nécessairement à un prix élevé. D’autre part, le budget est maigre.