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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/891

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farouches et poussent des clameurs frénétiques qui surchauffent l’enthousiasme guerrier.

Les Abyssins ont leurs grandes manœuvres. En voici un exemple. En l’absence de Ménélik, son oncle, le ras Darghé, lieutenant de l’empire, pour célébrer une victoire de son neveu, décide qu’un simulacre de combat aura lieu aux environs d’Addis-Ababa. Il a sous la main une vingtaine de mille hommes du ras Welda Ghiorghis et du dedjaz Tesamna Nadau, qui viennent de razzier les musulmans de l’Aoussa, ainsi que du dedjaz Loul Saggad, gouverneur de la lointaine région des Sidamas, qui a amené son contingent. Le centre de la fête est l’esplanade du palais, lieu élevé, dominé par une terrasse où l’on parvient en gravissant des marches recouvertes de tapis de Perse. Le lieutenant de l’empereur est à demi couché sur un divan. A côté de lui sont assises les notabilités européennes, entre autres des membres de la section russe de la Croix Rouge qui viennent d’arriver. La garde du ras entoure l’esplanade. Le thème de la manœuvre est celui-ci : le dedjaz Loul Saggad défendra la route qui conduit au palais, dont le ras Welda Ghiorghis s’emparera, après bataille simulée. Donc, sur les coteaux faisant face à la résidence impériale apparaissent des masses, d’abord confuses, qui se forment vite en colonne sur certains points, et, sur d’autres, en tirailleurs. Puis la cavalerie des Gallas, appartenant au corps de la défense, s’ébranle en un galop effréné, et bientôt la fusillade éclate de toutes parts ; le canon fait entendre sa voix ; les mouvemens sont nettement dessinés, et, de loin, on croirait voir les grandes manœuvres d’Europe. Le coup d’œil est brillant. Mais, conformément au programme, les troupes du ras Welda Ghiorgis arrivent et pénètrent dans le palais. Le canon se tait ; la fusillade continue ; à son crépitement se mêlent les cris joyeux des femmes et… des sifflemens de balles, sifflemens qui inquiètent fort les étrangers invités. C’est que les Abyssins ne se donnent pas toujours la peine d’enlever les balles de leurs cartouches. Des hommes tombent des deux côtés. Heureusement, le combat cesse à la grande satisfaction des Européens et on célèbre le Te Deum.

Chacune de ces fêtes militaires entraine des accidens souvent mortels. Mais, dans le pays, on n’y fait guère attention : Yagzier fagâd (c’est la volonté de Dieu), disent les soldats, en Orientaux fatalistes.

Un officier général, observateur humoriste, après avoir démontré le peu de vérité de nos grandes manœuvres et la puérilité de nos petites guerres, disait que celles-ci n’instruiraient sérieusement le soldat que si on y tirait un certain nombre de vrais projectiles, seul moyen, selon lui, de faire saisir, par les participans, la