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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/893

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En pays amis, les chemins sont réparés, ou, s’ils n’existent pas, préparés par les paysans : arbres déracinés, coupés ou brûlés ; brousses incendiées ; gués artificiels créés dans les rivières ; accidens de terrain sommairement nivelés. Mais, en pays ennemi, les soldats établissent eux-mêmes la route sous l’œil du négus, et la marche est lente. On s’arrête des heures aux passages difficiles. Chacun aide à frayer le chemin en taillant dans les arbres à coups de hache ou de sabre. S’il s’agit de combler un ravin ou un torrent, l’empereur donne à tous l’exemple du travail en apportant une pierre ou une fascine. Chacun, ras, chefs, courtisans, fonctionnaires, soldats, serviteurs et esclaves, apporte, qui sa pierre, qui sa branche d’arbre, qui des bottes d’herbe ou des mottes de terre. Le service des sapeurs et des pontonniers est ainsi fait.

Après quelques heures de marche, la colonne s’arrête sur un point désigné. Et l’on voit se dresser tout à coup la tente de l’empereur, non pas celle d’apparat, mais une petite, décorée du nom significatif de la dasta : la joie. Aussitôt, toutes les distances sont prises ; chaque chef connaissant la place qui lui revient, soit à droite, soit à gauche, en avant ou en arrière du souverain. Après les chefs supérieurs, les subalternes dressent à leur tour leur tente dans le même ordre. Et en une heure à peine, une sorte de ville est installée avec un mouvement extraordinaire de serviteurs allant et venant, les femmes portant sur la tête des paniers de vivres. Les feux s’allument ; une vie intense règne dans le campement. On y trouve comme l’existence normale d’une grande cité ; tout s’y passe avec ponctualité et discipline. La tente de l’impératrice est grande et bien décorée ; celles réservées aux dames de la cour viennent ensuite et sont confortablement installées. La garde d’honneur de l’impératrice campe autour de la souveraine. Les dames de la suite sont au nombre d’une centaine. Quand l’empereur décide de séjourner ou de recevoir un vassal ou un envoyé important, on dresse la grande tente. Celle-ci est immense, domine toutes les autres et est surmontée des couleurs nationales. On peut y tenir des assemblées, y donner des guebers (festins) et y célébrer des fêtes.

La grande tente et ses annexes sont enfermées dans une enceinte en toile, haute d’environ deux mètres et formant haie, aux ouvertures de laquelle veillent des gardes. L’empereur reçoit toujours à sa table les principaux chefs, et les Européens présens au campement y sont invités de droit. L’hospitalité du souverain est tout à fait moyen âge. Les jeûnes nombreux, ordonnés par l’Eglise orthodoxe, sont observés.