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par des pseudonymes dont quelques-uns sont transparens, sont des personnages de la cour. Leurs réflexions sont celles que devaient éveiller dans un esprit bien fait les récits qu’on venait d’entendre. Il en est, parmi ces réflexions, de singulièrement austères et qui iraient à donner l’Heptaméron pour un livre d’édification. « Les maulx que nous disons des hommes et des femmes ne sont point pour la honte particulière de ceulx dont est fait le compte, mais pour oster l’estime de la confiance des créatures en montrant les misères où ils sont subjects, afin que nostre espoir s’arreste et s’appuye à Celluy seul qui est parfaict et sans lequel tout homme n’est que imperfection. » Les traits de ce genre abondent, trahissant le zèle dévot et l’humeur prêcheuse : « Par cela je vous aprendray à confesser que la nature des femmes et des hommes est de soy encline à tout vice, si elle n’est préservée de Celluy à qui l’honneur de toute victoire doit être rendu… Par ceci, Mesdames, pouvez connoître la fragilité d’une estimée femme de bien ; et je pense, quand vous aurez bien regardé en ce miroir, au lieu de vous fier à vos propres forces, vous retournez à Celluy en la main duquel gist vostre honneur… Sachez qu’au premier pas que l’homme marche en la confiance de lui-mesme, il s’éloigne d’autant de la confiance en Dieu. » Si vous pensez que c’est revenir à Dieu par un étrange détour et que la bonne reine a pu s’amuser du contraste qu’il y a entre la liberté des tableaux qu’elle trace et l’austérité des légendes qu’elle y ajoute après coup, c’est une erreur. Il n’y a de sa part nulle ironie et nulle intention de mystifier le lecteur. Mais elle cède à une tendance de sa nature et ne s’arrête pas au moment précis où l’entretien tourne au sermon et le propos galant s’achève en homélie. Laissons d’ailleurs de côté ces passages où perce l’intention de moraliser ; il reste que des hommes et des femmes s’étant réunis pour causer, la conversation prend le tour auquel elle revient inévitablement, toujours et partout, et dans les salons d’aujourd’hui comme dans les cours d’amour du moyen âge. On disserte sur la question des rapports des sexes, sur la supériorité de l’un ou de l’autre, si la faute de la femme est plus grave que celle de l’homme, si les mariages d’inclination valent mieux ou ceux de convenance, si le mari n’est pas souvent responsable de l’inconduite de sa femme, si l’on doit se venger, ignorer, pardonner. Les histoires servent d’exemples.

Ces histoires nous paraissent aujourd’hui peu exemplaires. Elles nous choquent par la crudité du ton, par la vivacité des détails et d’aucunes fois par la plus rebutante grossièreté. Mais c’est que nous les lisons avec un esprit d’aujourd’hui. Il n’est que juste de tenir compte de la différence des temps. Or, au lieu de puiser dans le vieux répertoire gaulois, ou de mettre à profit les récits de Boccace, son modèle, Marguerite rapporte des aventures qui pour la plupart sont réelles,