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l’accidentel, le contingent, j’allais dire la liberté, n’existent pas ; pour elle, il n’est que ce qui dure, ce qui persiste, ou tout au moins que ce qui évolue suivant une loi régulière constante.

Or la morale publique, politique, privée, repose sur le postulatum de la volonté libre, qui seule peut créer le mérite ou le démérite, justifier le châtiment ou la récompense.

Il en résulte sur ce terrain, pour la science, une situation singulière sur laquelle on n’a peut-être pas assez appelé jusqu’ici, l’attention des penseurs. Les sciences dites morales ne peuvent se constituer qu’à la condition de se confiner dans l’étude des foules, des masses, des grands nombres, c’est-à-dire à la condition de se mouvoir dans des milieux où les variations dues à la liberté de chacun disparaissent, noyées ou compensées, dans la résultante générale. Il y a donc un compartiment de la morale où la science ne peut pénétrer.

Que faut-il penser de cette contradiction qui semble essentielle entre la science et l’idée de liberté ? Voici ce qu’en pense Helmholtz : « Pour les animaux et les hommes, dit-il, nous admettons avec certitude, d’après le témoignage de notre conscience, un principe de libre arbitre que nous sommes obligés de soustraire à la dépendance de la loi causale. Malgré les théories sur la fausseté possible de cette croyance, je crois que la conscience naturelle ne s’en départira jamais. Si la raison humaine le repousse, c’est qu’en vertu de sa constitution intime, d’une sorte d’énergie spécifique, elle ne peut concevoir l’univers que comme un ensemble de phénomènes reliés par la loi causale. Ainsi la rétine est construite de façon à ne voir dans le monde que les phénomènes lumineux. »

Nous terminerons par-là notre résumé de l’œuvre de Helmholtz. Si incomplet qu’il soit, nous espérons qu’il aura pu donner une idée de la puissance de ce grand esprit. Dans les cinquante dernières années, Helmholtz est l’un des hommes qui ont ouvert le plus de voies nouvelles aux plus hautes curiosités, qui ont jeté les lumières les plus vives sur les points les plus obscurs de la connaissance, qui partout ont réalisé ou suggéré les plus intéressantes découvertes. Son nom restera inscrit parmi les plus grands de notre grand XIXe siècle.


George Guéroult.