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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/150

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III

Maintenir unies toutes les régions du Soudan qui se sont soulevées à la voix du Mahdi, rester le chef de cet État, et ensuite le transmettre à son fils ou à son frère, tel est l’objet que se propose le calife Abdullah, auquel toute sa volonté s’est appliquée depuis tantôt onze ans. De nombreux précédens de l’histoire de l’Afrique encouragent cette ambition. Les origines d’un tel État rappelleraient celles des sultanats de Sokoto et de Mouri, qui furent fondés au début de ce siècle dans le Soudan central.

Les procédés politiques du calife Abdullah ont été très simples, si simples même qu’il était difficile qu’ils le fussent davantage. Il a abaissé les opposans et fait disparaître les plus dangereux. Il a élevé ses adhérens et leur a donné une place prépondérante dans le nouveau régime.

Les parens du Mahdi, ses fils (sauf l’un qu’Abdullah désarma en le mariant à l’une de ses filles), ses oncles, ses cousins, ses nombreux alliés ne se consolèrent jamais de n’être pas au pouvoir. On n’a pas tous les jours un Mahdi dans une famille, et il est cruel de ne pas profiter d’une pareille aubaine.

Leur chef était le calife Mohammed Chérif, l’un des fidèles de la première heure, que le Mahdi avait investi de sa charge le même jour qu’Abdullah. Le gros de leurs forces était formé par les riverains du Nil : Dongolais, Djaalin, Sennariens, humiliés d’être contraints d’obéir à un nomade du Darfour. Un autre personnage, le calife Ali Woled Helou, aurait pu être redoutable, à cause de l’importance de sa charge. Mais il appartient au type de ces soldats respectueux de leur consigne, quoi qu’il arrive. Tant que le calife Abdullah vivra, il lui sera fidèle, parce que le Mahdi en a donné l’ordre. Toutefois il a conservé pour l’avenir des espérances, qui pourraient bien devenir un jour l’origine d’un conflit.

Le calife Abdullah eut l’occasion, peu après son avènement, de porter un coup sensible à ses adversaires.

Le calife Chérif avait envoyé des troupes dont il était le chef nominal, et, pour ainsi dire, le possesseur, guerroyer au Sennar sous le commandement de son lieutenant Abdel Kerim. Un jour celui-ci se vanta de substituer aisément, grâce à ses soldats, Chérif à Abdullah. Ce dernier est informé du propos ; il mande Abdel Kerim à Omdurman avec sa troupe. A la tête de toutes ses forces mobilisées, il le reçoit amicalement, le complimente sur sa campagne, mais lui prouve sa supériorité par le simple déploiement de ses compagnies. Le soir même Abdullah invitait à une