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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/209

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De l’armure brisée on forge une charrue,
Et l’Amour et la Mort font toute beauté nue ;
L’aube qui monte au jour redescend vers la nuit,
L’écho le moins lointain n’est que l’ombre d’un bruit,
Tu es pour un instant celui qui peut m’entendre,
Et tout, à qui le pèse, a le poids de sa cendre.


ESPOIR

Va ! quelle que soit l’eau où ta bouche s’abreuve,
Onde verte du lac ou flot jaune du fleuve,
Pour ta soif du matin ou pour ta soif du soir,
Bois-y toujours, Enfant audacieux, l’Espoir !
Car la Fortune songe en tes yeux d’ambre et d’or.
Le Bonheur, dans la grotte fraîche où l’ombre dort,
Prend volontiers, selon le désir qui l’assaille,
Tour à tour la figure indolente ou la taille
D’une femme couchée ou d’un homme debout ;
La Tristesse aux yeux creux et la Joie aux yeux doux
Pleure d’être joyeuse ou sourit d’être triste ;
L’instant s’esquive et part ; l’heure nargue et résiste ;
Saisis l’heure aux cheveux et l’instant à la nuque !
Du roseau qui se rompt naît une double flûte ;
Les fruits sont mûrs au bout des branches qui se tordent,
Et l’antre furieux qui bâille et semble mordre
Peut-être cache en lui la fontaine et l’écho ;
L’ombre de la colombe à terre est un corbeau,
Celle du cygne blanc figure un cygne noir ;
La fêlure qui raie un cristal de miroir
Est ride à qui s’y voit et plaie à qui s’y penche ;
Mais de la nuit d’airain surgit l’aurore blanche.
Espère ! Le Bonheur feint de n’être pas lui,
Hier qui pleurait encor va sourire aujourd’hui,
Et sur le piédestal du tombeau taciturne
Une rose renaît à la fente de l’urne.


HENRI DE REGNIER.