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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/234

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proposé aux Chambres d’opérer la conquête et l’annexion d’un immense et lointain territoire, elles s’y seraient refusées à la presque unanimité de leurs membres. L’idée de conquérir Madagascar, d’y établir notre domination directe, de renverser le gouvernement hova et de prendre sa place, n’existait encore que dans l’esprit de quelques députés des colonies ; mais ils se gardaient bien de la produire au grand jour. Le vote des Chambres aurait été certain ; l’expédition de Madagascar aurait été condamnée avant d’être entamée. Aussi n’a-t-on parlé de rien de semblable, et a-t-il été bien entendu qu’il ne s’agissait que d’une chose de modeste apparence, faire de notre protectorat une réalité. Au reste, l’entreprise était conduite alors par le ministère des Affaires étrangères, qui avait déjà à sa tête M. Hanotaux. Ce ministère n’a pas l’habitude de procéder par à-coups, par soubresauts imprévus, par fantaisie ou par caprice ; il aime à s’inspirer des traditions, à poursuivre le développement des affaires suivant leur évolution normale, à les continuer dans l’esprit où elles ont été conçues plutôt qu’à y introduire de brusques innovations, et depuis longtemps déjà il avait préparé non pas l’annexion, mais le protectorat. Il l’avait fait accepter par les principales puissances intéressées, et ce but restait pour lui le seul qui fût assigné à nos efforts. Il aurait été bien inutile d’amener, en 1890, l’Angleterre et l’Allemagne à reconnaître notre protectorat avec toutes ses conséquences, si l’avenir avait pu être prévu. On s’est un peu amusé de l’extrême facilité avec laquelle le général Duchesne, puis M. Laroche ont imposé à la reine de Madagascar les solutions les plus diverses et même les plus opposées ; le sujet prête effectivement à l’ironie ; peut-être la reine n’a-t-elle pas très bien compris des subtilités diplomatiques auxquelles son esprit était mal préparé ; mais il n’en est pas de même de l’Angleterre et de l’Allemagne, et lorsqu’on leur a demandé de reconnaître notre protectorat avec un éclat que nous avons d’ailleurs jugé excessif, parce que le gouvernement hova devait y voir une provocation et une menace, ce n’était certainement pas avec l’arrière-pensée de leur dire ensuite qu’il ne s’agissait plus de protectorat mais l’annexion. Il est donc avéré que le protectorat était, à l’origine, non seulement dans les préférences, mais dans la volonté expresse et réfléchie du gouvernement français.

L’expédition a eu lieu. Elle a coûté très cher. La consommation de vies humaines qui a été faite a atteint un chiffre douloureux. Ceux-là seuls s’en sont étonnés qui ne connaissaient pas les difficultés que le sol et surtout le climat devaient opposer à l’invasion de nos troupes. On avait bercé les esprits de l’illusion que la marche sur Tananarive ne serait qu’une promenade militaire à travers un pays plein de ressources naturelles, et habité par des populations qui nous attendaient avec impatience pour se ranger de notre côté. Ces mensonges, que nous nous sommes toujours efforcés de dissiper, étaient fort