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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/254

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Rien ne pouvait réussir si toutes les forces répandues dans la nation, mais jusque-là perdues pour notre puissance militaire, ne venaient combler l’énorme vide que l’imprévoyance et les cala-strophes avaient creusé. Ce n’était pas assez que cette transformation s’accomplît, il fallait qu’elle s’improvisât ; car l’ennemi, maître de toutes ses forces, empêcherait les nôtres de se refaire, s’il n’était surpris par leur formation. Il fallait, dans cette industrie consacrée aux travaux de la paix, adapter l’outillage et la production aux besoins de la guerre. Il fallait chercher, chez tous les peuples qui avaient eu la sagesse de mettre au nombre de leurs industries la production des munitions et des armes, les stocks disponibles et acquérir à tout prix le matériel utile à la défense. Il fallait, dans cette population qui avait trouvé jusque-là les lois elles-mêmes complices de son ignorance et de son dédain pour les affaires militaires, découvrir des hommes capables non seulement de faire nombre et d’obéir, mais de conduire le nombre et d’exercer une part du commandement. Enfin il fallait à cet immense et multiple effort, sur tout le territoire et hors des frontières une direction commune. Et là était de toutes les difficultés la plus grande.

Nos malheurs en effet n’avaient pas seulement détruit nos forces matérielles. Les surprises de cette lutte depuis si longtemps certaine, l’anémie cérébrale du haut commandement, la caducité des institutions maintenues par lui avaient ruiné l’autorité morale du pouvoir auquel il appartient de réparer les revers militaires. C’était comme une ironie cruelle et une contradiction de confier la revanche aux chefs qui avaient préparé la défaite. Mais tout médiocres que fussent alors les hommes de guerre, qui à ce moment était en France meilleur et plus apte ? Les administrations de la guerre et de la marine demeuraient les seuls moteurs en état d’imprimer aux innombrables élémens qu’il fallait assembler pour refaire des armées un branle commun et une activité ordonnée. Là seulement, au centre de l’immense machine, étaient les hommes familiers avec tous ses rouages et capables de transformer la multitude des efforts en l’unité de l’œuvre. Là, pour assurer chacun des services militaires, autant de corps gardaient le dépôt des progrès éprouvés et des traditions nécessaires. Si nombre de chefs n’égalaient plus leurs aînés des grandes époques, cette déchéance de la vigueur morale était commune à l’armée et à la nation, et les officiers, victimes de leur temps et semblables à la masse de leurs concitoyens, l’emportaient encore sur ceux de leurs contemporains qui, anémiés parla même atmosphère, avaient en moins la discipline et, la science du métier : leur expérience, fût-elle trop vieille et enraidie, était