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Picard, résolus à poursuivre dans les actes un parfait accomplissement des paroles, avaient demandé, dès la première séance du conseil, que le gouvernement ouvrît les fonctions publiques à des hommes de tous les partis, et, s’ils employaient à la défense tout le pouvoir confié par lui, ne leur demandât rien au-delà. Les autres entendaient que les fonctions publiques fussent réservées au parti républicain. Cette occupation semblait aux modérés comme Jules Favre, Garnier-Pagès et Glais-Bizoin, une garantie que la République ne serait pas trahie ; mais ils espéraient que ces républicains, se contentant de garder la place et rassurés pour l’avenir, oublieraient dans le présent et feraient oublier à la France leurs attaches politiques et chercheraient d’un patriotisme impartial le concours de tous pour l’organisation de la résistance. Aux membres plus avancés du gouvernement, il ne suffisait pas que le parti républicain occupât l’autorité ; ils voulaient que cette autorité mît toute sa force au service de la République. Ils eurent dès le premier jour le concours résolu et décisif de Gambetta.

Non qu’il fût de ces théoriciens sectaires comme il s’en trouvait plus d’un alors, capables de détourner avec calcul, au profit de leurs doctrines préférées, les énergies dues à la guerre nationale, et d’affaiblir la patrie pour fortifier leur faction. Gambetta poursuivait un autre dessein, et sa résolution s’expliquait mieux que la leur. Il sentait fortement la nécessité de défendre la France. Mais la puissance des traditions ne serait qu’un vain mot si cet homme de race mêlée, né d’un père italien, eût eu pour la France un amour tout semblable à celui des vieux fils de la patrie. Si bon Français qu’il fût devenu par choix, il ne pouvait avoir pour la demeure de la race la piété naturelle à ceux dans les veines desquels coule un sang français depuis des siècles ; il ne pouvait sentir comme eux le caractère sacré d’un sol sur lequel les générations du passé ont vécu, dans lequel elles dorment, et qui dans sa poussière a mêlé leur poussière ; il ne pouvait comme les fils de ce passé être blessé jusqu’au plus lointain de sa mémoire, jusqu’au plus intime de son culte domestique, jusqu’au plus profond de son être historique par l’invasion. Quand il s’était donné à la France, il avait été surtout attiré par ce qu’il y a en elle d’universel, d’intelligible et d’aimable à toute intelligence et à tout cœur d’homme : elle était pour lui moins un sol qu’un génie, moins un foyer de souvenirs qu’un foyer d’idées. L’immense rayonnement de la Révolution avait pénétré, échauffé cet esprit ; c’est à cette lumière qu’il s’était vu nôtre, démocrate et républicain ; il était attaché à notre patrie comme à la mère des