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pour remettre le trésor égyptien à flot et lui permettre de faire face à ses engagemens. Mais à part ces deux points où leurs vues devaient être pareilles, que d’autres où ils ne pouvaient porter que des aspirations différentes, peut-être opposées ! Il suffisait de se rappeler que nulle part la rencontre toujours fréquente des politiques anglaise et française n’avait été plus orageuse qu’en Égypte. Sous la monarchie de 1830, aux plus beaux jours de ce qu’on appelait l’entente cordiale, c’était là seulement que les deux États n’avaient jamais pu vivre en paix. C’était là qu’une fois ils avaient failli en venir aux mains, entraînant dans leur conflit l’Europe entière. Il n’y avait pas longtemps que la même dissidence venait de se manifester avec moins de bruit et d’éclat, mais provenant toujours du même fond de rivalité : c’était le jour où notre illustre compatriote avait entrepris, avec les ressources fournies surtout par l’épargne française, la merveilleuse tentative du percement de l’isthme de Suez. Jusqu’à la dernière heure, le cabinet anglais déclarait l’œuvre impraticable et avait tout mis en œuvre pour la faire échouer. A la vérité, le prodige une fois accompli, il s’était retourné assez à temps pour tenter de s’emparer du nouveau passage d’Europe en Asie, et il travaillait à se rendre maître d’en ouvrir et d’en fermer les portes à son gré, afin d’en faire le canal de communication destiné à desservir son empire des Indes. L’acquisition toute récente que le trésor anglais venait de faire d’un nombre d’actions nécessaires pour s’assurer, au détriment de l’avantage jusque-là réservé aux premiers inventeurs, une majorité dans le conseil d’administration de la compagnie, ne pouvait avoir d’autre but ; cette précaution n’annonçait rien de bon pour une opération nouvelle dont une intimité parfaite était la condition nécessaire. Jamais conjoints n’entrèrent en ménage sous de moins favorables auspices.

Si la demande en divorce n’eut pas lieu tout de suite, si malgré beaucoup de tirage et quelques accrocs, la paix domestique put être maintenue pendant près de trois ans, ce fut un tour de force, ou plutôt d’adresse, dû à l’habileté des deux agens chargés de mettre le condominium en œuvre. Il fallait en remercier surtout l’agent français qui eut le mérite de faire au maintien de l’entente plus d’un sacrifice dont ses compatriotes lui savaient peu de gré et ne se gênaient pas pour témoigner, parfois même assez haut, leur mécontentement. Mais un état de choses dont le principe est vicieux et la pratique artificielle ne peut être indéfiniment prolongé, et la rupture devint inévitable, quand une insurrection militaire, dont tout le monde s’exagéra la gravité, vint mettre en péril, avec l’autorité du vice-roi, celle du ministère anglo-français qui gouvernait en son nom, ou plutôt à son lieu