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WILLIAM WORDSWORTH[1]

Il y a, pour un grand poète, trois façons au moins d’être célèbre à l’étranger. La première est d’être à la fois très lu et entièrement compris : c’est un cas rare, — si rare qu’on n’ose s’aventurer à citer des noms. La seconde est d’être célèbre sans être lu : c’est de beaucoup le cas le plus commun ; le poète vit alors sur sa renommée, qui donne de lui une idée parfois conventionnelle, souvent vague, mais enfin, à tout prendre, acceptable ; et il fait la joie des critiques qui, de temps à autre, modifient, rectifient, retouchent adroitement l’image que nous nous faisons de lui, sans pourtant que cette image soit altérée dans ses traits essentiels : telle est, par exemple, en France, la gloire d’un Byron, d’un Leopardi, d’un Heine. Mais il y a une troisième situation, de beaucoup la plus défavorable, à occuper en face de ce qu’on nomme « la postérité », et c’est celle du poète fameux, mais fameux pour des mérites qui ne sont pas les siens, ou qui sont à peine à lui, ou qui ne constituent que la moindre part de son originalité. Ce rôle est ingrat entre tous. Songeons que la gloire se réduit ici presque à un nom, qu’il y a un verdict prononcé, que la révision du procès se heurte à l’indifférence du public, ou, ce qui est pis, à ses préjugés, et si, par surcroît de malheur, le poète n’est pas traduit, ou si, par aventure, il est intraduisible, comment espérer pour lui, je ne dis pas une réhabilitation, — puisqu’il n’en a pas besoin, — mais cette élémentaire justice qui veut qu’on ne parle d’un écrivain que pièces en main et livres sur

  1. Emile Legouis, la Jeunesse de William Wordsworth (1770-1798) ; Masson, 1896. — Le même, Quelques poèmes de William Wordsworth, traduits en vers ; L. Cerf, 1896.