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Elle aime les parfums d’une âme qui s’exhale,
La marguerite éclose, et le sentier fuyant,
Et quand novembre étend sa brume matinale,
Une fumée au loin qui monte en tournoyant !


Certes, c’est là du Wordsworth. Mais est-ce tout Wordsworth ? Est-ce même le meilleur de Wordsworth ? Il serait téméraire de le prétendre.

Cependant l’opinion de Sainte-Beuve a eu chez nous force de loi. Il l’a prêchée au petit cénacle de « Wordsworthiens » qu’il a réussi à créer autour de lui. Il a formé quelques confrères en lakisme. C’est un lakist convaincu que cet abbé Roussel, vicaire dans une petite paroisse des Vosges, qui lui envoie un jour, comme il dit, « des fruits du petit jardin que vous avez créé dans ce maigre terrain de nos montagnes, qui ne sont pas, il s’en faut, celles du Westmoreland. » Et le bon abbé ajoute : « Que je serais heureux si mon panier avait gardé un peu de sa saveur primitive, si mes vers vous rappelaient Wordsworth autrement que par le titre ! » Par malheur, ce sont de pauvres traductions que celle de l’excellent abbé, et j’ai peur que son Wordsworth ne ressemble un peu trop à l’auteur d’Estelle et Némorin. Plus dignes de suivre Sainte-Beuve dans sa tentative étaient Maurice de Guérin et son ami le poète Hippolyte de la Morvonnais. Tous deux avaient été initiés, semble-t-il, par lui. Tous deux s’étaient convertis sans effort, et comme par un naturel instinct, à cette poésie si pleine d’âme. Je ne sais si Wordsworth a jamais été plus goûté parmi nous que dans le petit cénacle poétique du Val de l’Arguenon. C’est bien un lakist que Maurice de Guérin dans plus d’une page de ses œuvres, tant par le sentiment vif d’une nature familière que par l’intensité de l’émotion morale ; et quant à l’auteur, aujourd’hui bien oublié, de la Thébaïde des Grèves, il avait projeté, semble-t-il, quelque publication sur celui que son maître appelait « ce grand et pacifique esprit, ce patriarche de la Muse intime ». Il alla même voir le dieu dans sa solitude de Rydal Mount. Il se promit de le faire connaître en France, aux dépens de ce Byron tant goûté, qu’il trouvait « trop emphatique, trop solennel, pas assez près de la nature. » Il faut l’entendre parler avec l’émotion du disciple de son « Wordsworth tant aimé, »


Celui dont la mystique et profonde harmonie
Sonne pour les élus des poétiques dons
Et soulève mon âme en ses grands abandons.


Il lui prédit une gloire impérissable :