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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/377

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considéré, si le gérant est connu, que comme le complice de l’infraction.

Nous ne ferons pas assurément une œuvre bien nouvelle en critiquant cette institution de la gérance, sévèrement appréciée par tous ceux qui ont examiné notre Code de la Presse. C’est une vieille erreur qui, une fois entrée dans la législation du pays le plus conservateur qui soit au monde (je parle du nôtre), passe de loi en loi, de régime en régime, toujours condamnée et toujours vivace. Notre esprit de routine cependant n’explique pas entièrement la durée de cette loi injuste. On ne saurait méconnaître que la gérance est une institution commode, d’abord pour ceux que le « procureur à la prison » protège, et qui peuvent ainsi commettre des délits en se dérobant à leurs conséquences ; ensuite pour les gouvernemens qui de temps en temps veulent paraître énergiques sans irriter la presse, et trouvent ainsi sous leur main une victime expiatoire. A aucun autre point de vue l’institution de la gérance fictive ne peut trouver de défenseurs.

Qu’on dise que demain, dans une matière pénale quelconque, celle du vol par exemple, il sera convenu que certains individus désignés et connus à l’avance seront poursuivis aux lieu et place des voleurs, en vertu d’une convention légale qui dispensera la justice du soin de rechercher les criminels, et les criminels du soin de se soustraire à la justice ! Cette institution sera assurément commode, mais elle aura précisément toute la valeur morale et sociale que la « gérance » actuelle possède. Et s’il y avait des gérans pour les entreprises de vol, croit-on que les jurés ne seraient pas bientôt las de frapper ces boucs émissaires ? En ce cas, on dirait peut-être que le jury n’est pas apte à condamner les voleurs !

Si cependant, malgré cette situation étrange, le jury, dans une affaire de presse, fait pour le principe l’effort de condamner, nous avons indiqué les résultats qu’il peut atteindre. Le gérant est mis en prison, spectacle immoral et absurde ! Quant aux amendes et aux réparations civiles, personne ne les paiera.

Précisons bien ce point. Qui paierait avec notre système ? Ce n’est point l’auteur de l’article : il est inconnu. Ce n’est point le directeur effectif du journal, le gérant véritable qui a agréé l’article, et peut-être l’a demandé. Ce gérant-là, la loi ne le met en cause à aucun titre, et il ne peut être poursuivi que si des faits de complicité, généralement impossibles à établir, sont relevés par l’instruction à sa charge. Qui paiera donc ? Pour les amendes, la réponse est bien nette : personne, car le gérant est insolvable et nul n’est responsable des amendes que lui. Pour les condamnations civiles, qui comprennent les dommages-intérêts et les frais, le gérant ne les paiera pas davantage, et le directeur