à des gouvernails qui n’en offrent guère davantage. À cet égard la situation est la même, et dans les deux cas, la victoire est aux plus hardis, aux moins scrupuleux. Le rédacteur en chef du journal pour lequel il écrivait, — une feuille radicale, — donnait audience à ses collaborateurs autour d’une table de café. « Ces réunions, nous dit l’auteur, furent pour moi une amère déception. » Il se faisait une si haute idée du journalisme et de la mission du journaliste ! Mais justement, c’était de quoi, à la rédaction, on ne faisait aucun cas. On était plus occupé de la petite nouvelle du soir que des grandes questions sociales ; et ce qui intéressait bien davantage encore, c’était le fait personnel, pouvant servir à porter un coup à un adversaire, à harceler un personnage en vue.
Aussi s’abstient-il bientôt d’assister à ces réunions. Mais il ne se fait pas faute, pour sa part, d’aborder « les grandes questions sociales. » Il attaque vaillamment « l’hypocrisie du système scolaire, l’inanité universitaire. » Pour traiter de ces sujets ses tristes expériences personnelles à l’école et à l’université le servent à souhait. Il affirme l’absurdité de l’enseignement du latin dans les écoles, proposant, s’il fallait une langue classique à tout prix, d’y substituer celle des Eddas, base des langues Scandinaves. Il se montre surtout féroce pour les « vieilles idées », les idées toutes faites, conçues par d’autres en d’autres temps et sous d’autres mœurs, qui nous ont été transmises, qui s’imposent à nous, qui nous dominent et nous oppriment. « La société, nous dit-il, est devenue comme le dépôt géologique de toutes les formations antérieures. Nous subissons la poussée formidable des alluvions accumulées, la tyrannie de conceptions d’autrefois, d’une morale sortie de conditions toutes différentes des nôtres. Témoin la légende inventée par des pêcheurs de Judée, et qui sert encore de base à toute notre morale. »
Convaincu donc que le doute est le commencement de la sagesse, et le mécontentement de ce qui existe le point de départ de l’aspiration vers le mieux, il se met à cultiver le doute en lui-même, un doute qui embrasse l’univers entier, et met devant toute chose un point d’interrogation. Il reproche à ses amis de ne pas douter assez : « Ils osaient douter de l’existence de Dieu, car ce doute était à la mode ; mais ils n’osaient pas douter du génie de Shakspeare, de peur qu’on ne les prît pour des ignorans. » Lui, il doutait même du génie de Shakspeare ; et il ne se fait pas faute de nous dire pourquoi, avec citations à l’appui, afin que nous ne puissions pas le soupçonner d’ignorance. Enfin, de doute en doute, il en vient à douter même de sa vocation pour le journalisme. Il ne pouvait écrire sans dire de dures vérités, et ces