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A la suite de ces Nouvelles universitaires, qui soulevèrent contre lui de grandes indignations et lui attirèrent de sévères critiques, mais qui n’en furent pas moins un succès littéraire, M. Strindberg s’essaya à la fois dans le roman et le draine naturalistes. Il produisit coup sûr coup le Cabinet rouge et Maître Olaf, qui comptent parmi ses œuvres les plus importantes et qui établirent définitivement sa réputation d’écrivain.

Le Cabinet rouge est un roman des plus intéressans, en dépit des violences de langage, des exagérations et des tendances agressives qui nuisent à la justesse du récit. Il met en scène le monde artistique et littéraire de Stockholm d’il y a vingt ans, toute une bohème que M. Strindberg a connue de très près.

C’était une bohème spéciale, bien éloignée de la bohème dorée des grandes capitales, bien di lie rente aussi de la bohème classique, dont la légende a pénétré un peu partout, cette bohème gaie et insouciante que l’amour de l’art, la gaîté, la jeunesse consolent des mécomptes de la vie. C’était une bohème active, besogneuse, en guerre ouverte avec les idées et les formes régnantes, les principes conservateurs, le piétisme artificiel et l’art académique. Elle menait une lutte terrible, réduite à tous les expédiens, toujours aux abois, coudoyant le peuple sans se confondre avec lui, grâce à son mépris pour les résignés et à l’immensité de ses prétentions. Socialiste en politique, naturaliste en art, elle était surtout sceptique et cynique, avec un curieux mélange de libéralisme exalté et de sécheresse matérialiste, d’altruisme dans les idées et d’égoïsme dans la pratique de la vie quotidienne.

C’est ce monde étrange que M. Strindberg fait revivre dans son roman. Le Cabinet rouge est simplement le salon, meublé de rouge, d’un grand café de Stockholm où cette bohème avait coutume de tenir ses assises. L’épigraphe du livre, empruntée à Voltaire : « Rien n’est si désagréable que d’être pendu obscurément, » indique assez les tendances des héros de M. Strindberg. Ne pas être « pendus obscurément », faire parler d’eux à tout prix, voilà l’ambition de tous ces peintres, acteurs, journalistes, hôtes accoutumés du Cabinet rouge. M. Strindberg nous fait assister aux péripéties de la lutte qu’ils soutiennent contre la misère, lutte dans laquelle les belles théories cèdent souvent à l’anxieuse préoccupation du repas du soir. Il nous initie aux essais littéraires de Falk, le journaliste humanitaire ; aux débuts dramatiques de Renhielm, l’aristocrate fourvoyé sur les planches ; aux tentatives artistiques des peintres Sellén et Lundell, du sculpteur philosophe Montanus ; aux déclamations sibyllines du socialiste Tyberg ; aux