visiter les pauvres à domicile. Nous la voyons distribuant des « paroles de l’Evangile » sous forme de petits traités illustrés et de bons de soupe, dans les quartiers perdus de la ville. Mais ni les bons de soupe ni les versets de la Bible ne remédient à l’incurable sécheresse de ce cœur de femme.
Tel est, en résumé, ce premier roman de M. Strindberg. La thèse qui s’en dégage est à peu près celle des Soutiens de la société d’Ibsen, de la Faillite de Biörnson : la corruption secrète de ceux qui jouissent de la considération du monde, des membres respectés de la société ; la ruine sociale de ceux qui ne se contentent pas de la morale courante, du bien apparent, et qui essaient de conformer leur gré à un idéal plus élevé. D’un côté, mensonge, convention, apparence ; de l’autre tâtonnemens, vaine recherche de la vérité et de la beauté. Le roman intéresse par l’intensité de vie dont sont animés les personnages, par la vigueur des scènes décrites et l’étrangeté du milieu spécial où elles se passent. Mais de graves défauts détruisent en partie l’effet de ces rares qualités : le ton doctrinal de l’auteur, l’exagération de ses critiques, sa manie polémique qui à tout instant envahit le récit et ne manque jamais de le refroidir.
Le drame historique de Maître Olaf, écrit plusieurs années avant le roman que nous venons d’analyser, mais qui ne fut joué pour la première fois qu’en 1881, constitue la première apparition du naturalisme sur la scène suédoise. C’est d’ailleurs toujours le naturalisme particulier à M. Strindberg, le naturalisme à thèse, procédant par symboles, comme l’individualisme de M. Ibsen. Sous les traits du roi Gustave Vasa, du réformateur Olaus Pétri, du révolutionnaire anabaptiste Gerdt, qui ont réellement figuré dans les événemens de la Information, M. Strindberg a voulu représenter et nous faire entrevoir les agens du nouvel ordre social qui se prépare à succéder au nôtre.
Dans les confessions du Fils de la servante dont nous avons déjà parlé, M. Strindberg nous explique comment il a conçu l’idée de ce drame et comment il l’a réalisée. D’abord, s’il a choisi la forme dramatique, c’est parce que « le drame est la forme littéraire qui permet le mieux de tout dire et qui donne à l’idée le plus de relief. » Les hardiesses y semblent plus hardies ; les contradictions sont plus aisément admises. Et pour peu qu’on ait fait sentir ce qu’on voulait, on est dispensé de conclure. D’un autre côté, comme cadre de son drame, l’auteur a choisi l’époque de la Réformation en Suède, c’est parce que « c’est le moment de la rupture avec le dogmatisme du passé, l’aurore des idées nouvelles, d’une morale appropriée au temps. » Par la bouche de personnages