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se trouve pris entre ces deux grands intérêts nationaux, qui, par leurs organes les plus élevés, lui adressent des objurgations si contradictoires.


V

Une des causes principales des difficultés qui se dressent devant l’agriculteur français est l’élévation des salaires des ouvriers agricoles, due à la rareté de plus en plus grande de la main-d’œuvre, qui est elle-même en grande partie l’effet d’un certain mode de diffusion de l’instruction primaire. Il y a des choses qu’il faut avoir la franchise de dire : l’instruction obligatoire a été un des agens essentiels du phénomène que ne cessent de déplorer les économistes, le dépeuplement des campagnes. Mais, si l’on peut formuler ce grief contre l’école primaire, c’est parce que le programme des connaissances que les instituteurs y doivent inculquer aux enfans confiés à leurs soins dans les campagnes, est farci d’ingrédiens propres à développer les aspirations ambitieuses et les rêves chimériques, beaucoup plus qu’il ne contient de ce qui pourrait maintenir et développer chez ces enfans l’amour de la terre. Il n’y a pas d’agriculture dans les programmes de nos écoles primaires, ou du moins il n’y en a pas eu pendant une trop longue suite d’années, et le peu qu’on y en a mis dans ces derniers temps est insuffisant. Les auteurs des programmes n’avaient en vue que de faire du paysan un citoyen selon la formule républicaine et laïque, un électeur très informé sur les rouages du mécanisme politique, c’est-à-dire soustrait à l’influence du clergé et des anciennes classes dirigeantes. Le résultat a été de transformer, par dizaines de milliers, des hommes que l’ignorance d’autrefois eût maintenus simples d’esprit, résignés à leur sort d’enfans de la glèbe, en d’impatiens solliciteurs d’emplois publics ou privés, bayant après les faveurs administratives, ou en compagnons résolus à troquer le labeur écrasant et misérable de la campagne contre les gains réputés faciles et les plaisirs variés de la ville. Inutile d’insister sur ce qu’il advient de l’élément féminin dans cette transformation des gens de nos campagnes, par l’école primaire.

Le mal que l’école a fait, elle peut le réparer, à la condition qu’elle donne désormais aux connaissances agricoles le pas sur les prescriptions du catéchisme civique. Aux enfans des champs elle doit apprendre, avant tout, la bonne manière d’aimer les champs, qui est de les cultiver avec plus d’art, partant avec plus de fruit ; elle doit leur apprendre à mieux utiliser le travail des bras en le rendant moins pénible, et à goûter les perfectionnemens de