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Cela fait aussi des patrons qui ne trouvent plus une juste rémunération du capital exposé et des risques courus.

Or ce manque d’équilibre entre la production et la consommation ne peut pas être considéré comme une de ces manifestations de forces naturelles contre lesquelles aucune résistance n’est possible. Il est œuvre humaine, puisqu’il résulte des progrès de la science, par où sont constamment accrus les moyens de production, et il résulte encore du développement des moyens de communication, par où les marchés du monde sont confondus en un marché unique. Or on peut lutter contre les effets néfastes de toute œuvre humaine ; il y a, dans la fixation de la quantité de production par voie d’accord libre, un remède naturel à la surproduction. Il est vrai que les jalousies entre nations concurrentes, l’égoïsme que développe la rivalité, constituent de formidables obstacles à toute réglementation internationale.

Quant au mal, qui oserait en nier l’existence ? L’industrie cotonnière ne court-elle pas au-devant des plus grands périls ? A la fin de décembre 1894, le monde entier comptait 93 millions de broches pour la filature du coton, et partout, au Japon, dans l’Inde, en Amérique, comme en Europe, on établit de nouveaux métiers. La hâte de produire toujours plus est le grand facteur du malaise où se débattent tant de nos industries, celle des lainages, par exemple, jadis si prospère, et qui périclite par l’avilissement des prix. La filature française a produit en 1894 près de 100 millions de kilogrammes de fils de laine pure ou mélangée, représentant une valeur d’environ 500 millions. Il a fallu livrer le produit au-dessous du prix de revient. Puis l’exportation des tissus diminuant (242 millions au lieu de 279 en 1893 et 328 en 1892), un grand nombre de métiers ont chômé tandis que les cours se déprimaient. M. Picard[1] prédisait le même sort aux cotonniers s’ils continuaient à accroître fiévreusement leur matériel : « Ils vont à un désastre. » La production des filés de coton a été à peu près absorbée en 1894 par le marché intérieur, mais la production a été excessive. 90 000 métiers mécaniques ont fabriqué 105 millions de kilogrammes de toile valant 420 millions. Les prix ont été avilis d’environ 8 pour 100.

La conclusion qui ressort de ces chiffres est que la saturation des marchés extérieurs, les concurrences qui surgissent de tous côtés, refoulent nos produits, déjà en excès, sur le marché intérieur, ce qui conduit à l’avilissement des marchandises et aux chômages. Une brève monographie de la place commerciale et industrielle de Lyon en 1894, tirée des comptes rendus de la Chambre de

  1. Rapport de la commission permanente des valeurs de douanes pour 1894.