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les détails d’une évolution littéraire qui n’embrasse pas moins de huit siècles, son sûr instinct lui avait fait découvrir tout ce qu’il lui importait de savoir. C’était d’ailleurs une tâche que lui facilitait singulièrement sa connaissance si étendue de la littérature de son pays, et des littératures de l’Angleterre, de l’Espagne, et de l’Italie. Un petit détail, dont je puis garantir l’authenticité, en dira plus long qu’un extrait détaillé du catalogue de sa bibliothèque, pour montrer combien Wagner rendait justice à la pensée et à la forme françaises. Dans les dernières années de sa vie, il se délectait à relire quelques chapitres de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, de Thierry, de l’Histoire des républiques italiennes, de Sismondi, de l’Histoire de la République de Venise, de Daru ; et il ne voulait lire les Mille et une Nuits que dans la traduction de Galland, tant il trouvait que la langue française donnait de charme à la reproduction de ces admirables contes. Pour la lecture à haute voix de Plutarque, — un de ses auteurs favoris, — c’était encore la traduction française d’Alexis Pierron qu’il préférait à toute autre, la jugeant fort supérieure aux traductions allemandes. Tout homme cultivé connaît Molière, Bossuet, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, et les autres coryphées de la littérature française ; mais être familier avec les historiens, savoir choisir parmi les traductions françaises celles qui ont une valeur classique, c’est là un fait assurément rare chez un étranger ; — et qui méritait d’être signalé.

Ce n’est donc pas seulement durant les quelques années passées à Paris que Wagner se trouva en contact avec la pensée française, ce n’est pas seulement par les visites de Villiers de l’Isle-Adam, de Mme Judith Gautier, de M. Schuré, et de tant d’autres fidèles qui allèrent le voir, soit à Munich, soit à Triebschen, soit, plus tard, à Bayreuth, qu’il continua de subir les bienfaisantes influences de ce contact. Non ! les amis français de Wagner, ce furent, en premier lieu, les grands poètes et les grands écrivains de la France, depuis Chrestien de Troyes jusqu’à Honoré de Balzac. Et, sans doute, si l’on prétendait ressaisir la trace de chacun d’eux dans l’œuvre de Wagner, on n’y réussirait pas ! Ce serait se méprendre sur la nature de ce qu’il leur demandait. Ils n’étaient point pour lui des inspirateurs ni des guides, mais des amis, dans la conversation desquels il prenait plaisir à se délasser. Exceptons-en cependant deux hommes dont l’influence a été considérable, et directe ; ce sont Berlioz et Gobineau.

Dire que Berlioz ait exercé sur lui une véritable influence, au sens strict du mot, ce serait trop dire. On ne saurait même le soutenir en matière d’instrumentation, puisque Wagner a suivi une voie précisément inverse de celle de Berlioz. Ce n’est que