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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/472

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Phlipon une lettre étrange par l’obscurité et le laconisme, et destinée de toute évidence à provoquer une réponse dont il pût se montrer offensé. Afin de mieux dissimuler sa retraite, il s’abrite derrière une excuse ingénieuse et inattendue. Il s’avise qu’il n’a pas le consentement de ses parens et s’attendrit en songeant qu’il pourrait leur faire de la peine. « Je dois à l’inquiète sensibilité et aux soins affectueux qu’ils ont pris de moi dans ma dernière maladie, je leur dois d’exister ; et cette nouvelle vie, tout autre que celle que je tenais du hasard, qu’ils n’ont cessé d’orner de ce triomphe qu’un cœur qui sert l’humanité goûte dans le succès de ses soins, cette nouvelle vie, ne leur en dois-je pas aussi quelque compte ? Identifié à eux par la nature, plus encore par les bienfaits, aliénerai-je leur cœur où je réside ? et disposerai-je d’une partie d’eux-mêmes sans leur participation ? » L’embarras de la phrase décèle une pensée qui malgré tout a honte d’elle-même, et le pompeux de la phraséologie cache mal la platitude du sentiment. Tout cela est pitoyable.

Mais Roland est de ces timides incapables de prendre parti et de rien faire qu’à demi. Comme il s’est laissé engager presque à son insu, il ne sait pas se dégager entièrement. Il continue, quoique de la plus mauvaise grâce du monde, à entretenir la correspondance. Il écoute les plaintes de l’abandonnée. Il reçoit la confidence des sentimens tumultueux par où elle passe, tantôt pénétrée d’une sombre tristesse et tantôt « rugissant de douleur ». Cette idée qu’il faille renoncer définitivement à un projet où elle avait enfermé tous ses rêves d’avenir, c’est une idée qui ne peut s’installer dans son esprit. « Je ne puis cesser d’être ton amie qu’en cessant d’exister ! Tu voudrais fuir, cruel ! Eh ! quoi que tu fasses ou deviennes, mon souvenir ne peut plus t’abandonner. Va, abandonne tes occupations, cours respirer un air étranger, renferme ton être au milieu des tiens, c’est toujours dans mon suffrage et dans mon cœur que restera le principe de ton repos. » Attachée à celui qu’elle s’est habituée à considérer comme lui appartenant, elle le poursuit des protestations d’une tendresse qui ne veut pas lâcher prise et à laquelle il n’arrive pas à échapper. Il se défend, il récrimine, il gémit, il épilogue, il ergote. La situation menaçait de s’éterniser. Un coup de théâtre vint brusquer le dénouement.

Dans les premiers jours de décembre 1779. Marie Phlipon se retire chez les Dames de la Congrégation, rue Neuve-Saint-Étienne, au faubourg Saint-Marcel. Ce fut la manœuvre décisive. La scène, le dialogue, l’attitude des personnages, tout est changé. Coupant court aux récriminations, Ariane se résigne. « Quelques larmes ont mouillé mes paupières, sans descendre plus loin ; j’ai perdu la faculté d’en répandre. Je parle et j’agis comme un automate monté pour ces fonctions ; je porte sur moi dans mes alentours et sur tout un regard morne et tranquille ; je