éloigné, la tranquillité de sa frontière orientale. C’est le danger qu’elle a reconnu dès le lendemain même de notre défaite, et qui a préparé en notre faveur ce changement de front dont, de très bonne heure, M. de Gontaut-Biron avait, de Berlin même, reconnu et signalé les indices[1].
Un peu plus tard, lors de la crise menaçante de 1875, l’empressement généreux qu’Alexandre II et son chancelier GortchakofT mirent à répondre à l’appel pressant du duc Decazes, fit voir que l’expérience et la réflexion avaient confirmé cette disposition nouvelle dont l’alliance d’aujourd’hui est le produit naturel. Mais gardons-nous d’illusion. C’est l’accroissement de l’unité germanique que la Russie entend prévenir ; ce n’est ni son existence, ni sa puissance actuelle dont elle prend ombrage. Sur un point unique, le maintien du statu quo territorial, crainte de pire, un intérêt commun existe entre France et Russie. Or il faut parler sérieusement, sans se laisser enivrer par de vaines phrases : rien n’est affaire de sentiment ni de compliment entre les peuples ; une communauté d’intérêt, tant qu’elle dure et dans la mesure où elle est reconnue, c’est le seul appui solide d’une alliance. Si l’on se flatte de l’étendre ou de la prolonger au-delà, on se prépare des déceptions. En un mot, l’alliance russe ouvrait à la France de 1828 la perspective d’une revanche de Waterloo : à la France de ! 896, elle n’offre qu’une garantie contre l’aggravation de Sedan. Qu’on ne dise pas que c’est peu, et que la République ne se plaigne pas que ce contraste lui fait tort : dans la situation donnée, dont elle a hérité et n’est nullement responsable, c’est beaucoup. En tout cas, elle n’avait nul motif d’espérer et nul droit de réclamer davantage.
Réciproquement, nos obligations à nous ont dû de même être limitées, et notre nouvelle et sage alliée n’a pu se refuser à le reconnaître. Sans contredit, si elle était en Europe l’objet de quelque menace allemande (ce qui, bien que peu probable, est toujours possible), notre devoir serait de tout risquer pour la défendre ; mais elle poursuit en ce moment, dans l’Extrême Orient, une tâche glorieuse, sujette, comme tout ce qui est grand, à beaucoup de traverses, et qui l’expose à beaucoup de périls. Nous n’avons pas à y prendre part, pas plus que nous n’aurions, si elle réussit, à partager la gloire et le profit que tous les amis de la civilisation seraient heureux de lui voir recueillir. Elle suit aussi à Constantinople, un chevet de celui que l’empereur Nicolas appelait Y homme malade, les desseins de Pierre le Grand et de
- ↑ Mission de M. de Gontaut-Biron à Berlin, p. 46, 47.