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découverte sur les problèmes de la morale, sur les énigmes de la destinée, sur les obscurités fascinantes de ce monde physique où nous vivons sans le voir, sur l’en-dedans, l’à-côté et l’au-delà. » Mary Wilkins est du pays où sévit avec le plus d’intensité cette forme toute spirituelle de la médecine, la science chrétienne, où des docteurs d’une nouvelle espèce, dont la clientèle augmente tous les jours, prétendent guérir les infirmités du corps en soignant celles de l’âme. Si l’enveloppe extérieure n’est que l’image des détériorations morales, pourquoi les mêmes actes commis par deux individus qui nourrissent des sentimens identiques, n’amèneraient-il pas une ressemblance entre eux ? Cette ressemblance peut même être beaucoup plus frappante que la simple analogie de traits. C’est la répétition chez l’un et l’autre des péchés et des laideurs intimes qui se trahit ainsi.

Miss Wilkins pousse plus loin cette idée, qui n’est pas sans quelque fondement raisonnable, puisqu’on sait quel air de famille, pour ainsi dire, existe entre certains malfaiteurs dont les habitudes criminelles sont les mêmes. Il y a dans le village de Pembroke un homme qui marche de travers, le dos courbé par une maladie de l’épine dorsale, et il apparaît à plusieurs que pendant sa crise de cruelle opiniâtreté Barney marche voûté comme lui. A-t-il donc aussi la moelle épinière atteinte ? Ceux qui se posent cette question ont probablement une vision spirituelle des choses qui leur permet de deviner la difformité mentale et de la revêtir d’une image sensible. Peut-être aussi Barney, tout absorbé dans son infirmité, réelle mais cachée, est-il arrivé inconsciemment à lui donner par momens une expression physique, et promène-t-il à travers le village un dos tordu comme l’est son esprit. Cette difformité spirituelle, symbolisée par une déviation de l’épine dorsale, ne paraîtra tout à fait extravagante qu’à ceux qui n’ont jamais remarqué quelle empreinte la manière de vivre et de penser donne à la physionomie humaine ; mais miss Wilkins revient si souvent sur cette théorie, elle la pousse à un tel degré d’exagération qu’elle aurait chez nous quelque peine à la faire accepter, même aux partisans d’un certain occultisme. Je ne doute pas que, pour les lecteurs anglais et américains, ce ne soit là au contraire un des points les plus intéressans du livre et, si j’insiste là-dessus, c’est pour montrer une fois de plus les abîmes qui existent entre le réalisme, tel que l’entendent chez nous ses adeptes, et celui qu’ils ont pourtant emprunté à l’Angleterre, car George Eliot a précédé M. Zola.

Le grand mérite de Pembroke est ailleurs, il est dans l’analyse approfondie de l’esprit puritain. Le personnage en qui s’incarne le