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en commun, ce n’est pas le sacrifice, l’abnégation, c’est le désir de jouir ; c’est le travail devenu attrayant, le travail devenu varié, et le goût de l’abondance. L’homme jouira quand, simplement, il voudra associer ses plaisirs en associant les désirs qu’il en a. L’affaire se réduit à ceci : vaut-il mieux vivre trois cents dans cent chaumières ou trois cents dans un palais ? Vaut-il mieux avoir cent cuisines pauvres ou un réfectoire magnifique ? Vaut-il mieux mal cultiver cent lopins de terre, ou être trois cents à cultiver un beau domaine. Le palais, le magnifique réfectoire, le beau domaine existent par la seule force des choses dès que les trois cents se mettent ensemble. Pour qu’ils se mettent ensemble, que faut-il ? Non pas s’aimer les uns les autres, non pas se sacrifier les uns aux autres ; simplement vouloir être heureux.

Mais l’indépendance ? — Quelle dépendance y a-t-il à profiter chacun du bonheur commun ? Quelle dépendance trouvez-vous à être éclairé par le même soleil que votre voisin et à respirer le même air ? Les hommes actuels, avec leur manie de jouir de la terre d’une façon toute contraire à la façon dont ils jouissent du ciel, ressemblent à des gens qui réussiraient à éteindre le soleil pour se munir chacun d’une lanterne. Cela n’a pas le sens commun. Cette démangeaison d’indépendance pour la misère n’est pas une passion vraie, puisqu’elle n’est pas un désir de jouir, puisqu’elle n’est que la passion du malheur. Elle doit être une exception. Et même, à titre d’exception, nous la respecterons. Ceux qui ont pour passion maîtresse l’impatience de changer de lieu et de vagabonder, associeront cette passion même et formeront des hordes voyageuses ayant pour mission de parcourir le monde et de l’explorer. Aucune passion, même exceptionnelle, ne doit être sacrifiée, et toutes ont leur bon emploi. Ainsi disparaîtront toutes ces méthodes de misère que les hommes ont inventées, le ménage isolé, le travail isolé, la concurrence, le commerce.

Le mariage aussi et la famille avec le ménage ? Non, pas tout de suite. L’éducation des enfans à la maison, oui ; car il est absurde de consacrer une personne à l’éducation de quatre « bambins » alors qu’une seule peut en gouverner et en élever méthodiquement une trentaine, et du reste cette éducation en famille empêche absolument que l’éveil de la vocation puisse se produire et que la découverte et le contrôle de la vocation puissent se faire. — Quant à la famille, bipersonnelle, quant au mariage, qui est aussi inutile, à la vérité, que le ménage, qui du reste contrarie la « papillonne », qui, encore, distrait et divertit de la communauté, qui contient enfin une foule d’obstacles au bonheur, il est trop contraire au système pour ne pas disparaître un jour ; mais Fourier